Ganja & Hess, la Blaxploitation détournée

Bill Gunn, réalisateur et acteur d'un film d'épouvante expérimental et... psychédélique.

C’est une rareté doublée d’une curiosité qu’exhument les éditions Capricci avec Ganja & Hess, essai inclassable tourné en 1973 par le réalisateur afro-américain Bill Gunn; un film dont Spike Lee devait réaliser, il y a une demi-douzaine d’années, un remake (Da Sweet Blood of Jesus) n’ayant pas laissé un souvenir impérissable. S’il est aujourd’hui oublié, Gunn connut son heure de relative gloire hollywoodienne au tournant des années 70, signant notamment le scénario de The Landlord pour Hal Ashby, avant de réaliser un premier long métrage sous influence européenne, Stop!, promptement placardisé par la Warner. Qu’à cela ne tienne, la vague de Blaxploitation ayant déferlé aux États-Unis au début des seventies lui vaudrait une nouvelle chance, des producteurs désireux de reproduire le succès du Blacula de William Crain lui confiant l’écriture et la réalisation d’un film de vampires noir. Roublard sur ce coup-là, Gunn commettrait un script leur donnant satisfaction, non sans avoir un tout autre film en tête: ce Ganja & Hess que l’on peut aujourd’hui découvrir dans sa version originale restaurée, une oeuvre aussi déroutante que fascinante.

Écrans de fumée

Découpé en trois chapitres -la victime, la survie et l’abandon-, le film met en scène le docteur Hess Green (Duane Jones, l’acteur principal de La Nuit des morts-vivants, de George Romero), un éminent anthropologue afro-américain affairé à des recherches sur une tribu africaine lorsque son nouvel assistant, George Meda (Bill Gunn lui-même), le poignarde avec une dague antique empoisonnée avant de se suicider. S’il émerge bientôt d’entre les morts, Hess se découvre aussi tenaillé par un insatiable besoin de sang humain, condition l’amenant aux pires extrémités. Moment où Ganja (Marlene Clark), l’énigmatique épouse de Meda, se présente à la porte de sa villa, prélude à un étrange ballet inscrit au confluent de l’amour et de la mort.

Ganja & Hess, la Blaxploitation détournée

Plus que la simple histoire de vampires que son pitch pourrait laisser supposer (encore que le terme ne soit jamais employé), Ganja & Hess se veut un film sur l’addiction, que Gunn assortit de préoccupations culturelles, la malédiction frappant Hess le reliant à son africanité. Ambition que le cinéaste enrobe de nombreux écrans de fumée, optant dès le carton d’ouverture pour une narration cryptée. Et de prendre un plaisir manifeste à égarer le spectateur dans les méandres elliptiques d’un film d’épouvante expérimental jusque dans son incroyable bande-son signée Sam Waymon, et ses détours psychédéliques sensuels. L’on est loin des conformismes cinématographiques, comme des stéréotypes liés à l’afro-américanité -en ce compris d’ailleurs ceux véhiculés par la Blaxploitation. Bien que présenté à la Semaine de la Critique à Cannes, le film, trop sophistiqué et hors norme sans doute, fera un four, ses producteurs décidant dans la foulée de l’exploiter dans un remontage inepte sous les titres successifs de Blood Couple puis Double Possession. Sa (re)découverte en combo Blu-ray/DVD vient donc à point nommé, déflorant un maillon méconnu de l’Histoire du cinéma afro-américain, qu’éclairent des compléments précieux, et notamment une brillante analyse du critique et historien du cinéma Jean-Baptiste Thoret.

Ganja & Hess, De Bill Gunn, avec Duane Jones, Marlene Clark, 1973, 1 h 52, Dist: Capricci.

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