PORTEUSE D’UN CINQUIÈME ALBUM DE CHANSONS BOURDONNANTES QUI REMUENT LA LANGUE FRANÇAISE DANS DES COUCHES DE MASSEPAIN SONORE, REVOILÀ FRANÇOIZ BREUT, FRANÇAISE VISUELLE DE BRUXELLES.

Bruits? Le premier qu’on entend sur le nouveau disque au titre fleuri ( La chirurgie des sentiments), c’est Bxl Bleuette. Une façon de parler des racines qui grimpent en lierre dans les vies filantes. Autant qu’une ode à la ville habitée par FB depuis maintenant douze ans, sans oublier les 20 mois de bruxellisation du début des années 90 en compagn(i)e de Dominique A. Aujourd’hui, Françoiz habite en famille -un mari et deux fils- dans un appartement du centre qui ferait une acceptable métaphore de sa musique: plafond et poutres bétonnés, boiseries verticales, sol granit, beaucoup de livres et quelques traces de son premier métier toujours en cours, illustratrice. Modernité intemporelle avec des poches de tendresse.  » Pour l’album, avec mon partenaire musical et guitariste Stéphane Daubersy, on est partis de ma collection de 45 Tours, pas seulement des musiques mais aussi des disques de bruitage, des outils pour étudiants en médecine, Louis Armstrong faisant une pub ou encore un code de la route des années 60 (…): on a samplé cette matière sonore, bidouillé en y introduisant mes textes déjà écrits, puis développé des morceaux. Une manière ludique de travailler.  »

Racines? Françoiz est née le 10 décembre 1969 à Cherbourg de parents bretons. Papa travaille au chantier tout proche dans les sous-marins nucléaires. Françoiz grandit face à la mer, dans l’ombre d’une industrie atomique qui fait boomer la ville normande.  » J’en parle dans l’un des titres de La chirurgie des sentiments , L’ennemi invisible . Mon père faisait des visites médicales tous les mois, la région entière vivait du nucléaire, c’était difficile de cracher dans la soupe même si dès la fin des années 70, il y a eu des manifestations à cause des wagons de déchets qui traversaient une partie de la France… La centrale de La Hague est toujours bien présente, une autre a été construite: après ce qui s’est passé à Fukushima ou ailleurs, cela fait peur, même si je ne me suis rendue compte des dangers que bien plus tard. L’ennemi invisible a été écrit bien avant la catastrophe japonaise: c’est une chanson douce, comme l’électricité, comme la chaleur.  »

Emotions?  » J’ai envie de donner du plaisir, des émotions, des idées, de raconter de petites histoires, un certain point de vue. Cela passe par des manières simples et des gens dont je me sens proche. J’ai besoin de c£ur, pas de stress ni de tension ni que cela aille trop vite. J’ai rencontré Stéphane Daubersy, qui co-écrit les chansons et qui joue de la guitare sur le disque, en achevant la tournée de l’album précédent, A l’aveuglette . Les choses s’étaient moins bien passées, en tout cas en France: c’était la première fois que je participais aux musiques, j’avais le sentiment de m’être davantage mise à nu et il n’y avait pas eu tant de retour que cela… Une mauvaise critique fait toujours mal, surtout quand on essaie de donner le meilleur de soi-même.  »

USA?  » J’y suis allée à l’époque de mon premier disque, en 1997, à South By Southwest en compagnie de Dominique A et de Diabologum. Je me souviens d’y avoir vu Zita Swoon, juste avec Stef et son contrebassiste. En 2008, je suis retournée aux Etats-Unis mais cette fois-ci, à Tucson, invitée par un Nantais marié à une Américaine qui avait voulu rassembler tous ses amis. J’ai joué sur plusieurs dates avec Calexico, et puis en 2011, j’ai fait treize concerts sur la Côte Ouest: là-bas, j’existe sous l’étiquette world-music (sourire) . Je me souviens de la réussite de San Francisco ou Portland mais à Seattle, le concert était difficile parce qu’on jouait devant des gens assis à table, un peu indifférents: j’ai pourtant beaucoup aimé la ville, le port, l’air marin, peut-être à cause de Cherbourg… J’ai aussi joué brièvement au Japon, en Australie et pas mal en Allemagne: j’y suis une sorte de Petite Madame de Paris, prolongeant l’exotisme français incarné par Françoise Hardy ou France Gall (rires) . J’ai découvert un pays que je ne connaissais pas, des gens super accueillants, de super villes où il y a encore des moyens, ce qui n’est pas désagréable… Sur le nouvel album, il y a une chanson en anglais, une reprise de Werewolf de Michael Hurley (1) qui est sortie en simple et qui a été clippée: c’est une métaphore du loup-garou, qui pourrait bien être une métaphore de la crainte de l’étranger…  »

Transmission?  » Oui, je pense que l’art est utile, qu’il aide à appréhender la réalité d’une autre manière, à supporter la vie en général. L’émotion que peut procurer un film, un livre, une chanson, une photographie, nous fait sentir plus vivant. Un monde sans art et sans amour (…) n’est pas possible. Chez moi, enfant, on ne pouvait regarder la télévision qu’à certains moments, le mardi soir, le samedi soir, et seulement certaines émissions: la télévision était déjà un objet dont il fallait se méfier, ce qui, bien plus tard, m’a poussée au plaisir de la lecture. Je me souviens tout de même de l’émerveillement d’avoir vu la télé couleur chez nos voisins (oui, la télévision fut jusqu’au début des années 70, exclusivement en noir et blanc, ndlr) , sinon, j’ai appris le fait de pouvoir m’ennuyer, de mesurer le temps. » l

(1) SEMI-LÉGENDAIRE CHANTEUR-GUITARISTE FOLK AMÉRICAIN

EN CONCERT LE 23/10 AU BOTANIQUE; EXPOSITION À LA CHARCUTERIE, 16 AVENUE PAUL DEJAER, 1060 SAINT-GILLES, DU 3 AU 24/11, WWW.FRANCOIZBREUT.BE

TEXTE PHILIPPE CORNET

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content