SOUS UN PSEUDO ÉNIGMATIQUE, COLD SPECKS SORT UN PREMIER ALBUM FOLK D’UNE BEAUTÉ SOMBRE ET TRANCHANTE. EXPLICATIONS AVANT SON PASSAGE AUX FEEËRIEËN.

« N’écrivez pas que j’ai pris une bière, ma mère n’est pas au courant. » On ne sait toujours pas trop s’il faut prendre la demande au sérieux. Après tout, jusqu’il y a peu, les parents d’Al Spx ne savaient pas qu’elle avait signé un contrat sur un label, et enregistré un premier disque. Aujourd’hui, leur fille a fini par leur avouer. Mais, rencontrée à la terrasse de l’Ancienne Belgique, Al Spx -pseudo tiré du Ulysse de James Joyce- ne veut toujours pas dévoiler sa véritable identité… Ces dernières années, l’anonymat tenait surtout de l’argument marketing -un teasing imparable dans une société où l’intimité explose sous les tweets et les statuts Facebook. Chez Al Spx, la coquetterie ne paraît pas tout à fait en être une. « Ce n’est pas une histoire de secret, mais plutôt une question de confort (sourire). Je n’étais pas à l’aise de voir mon nom collé à ces chansons. Ce sont des morceaux très intimes, sombres, et je suis quelqu’un d’assez pudique. Je les ai écrits dans ma chambre et je ne m’attendais pas à ce qu’ils se retrouvent sur un disque. Donc ce pseudonyme a du sens pour moi. Mais je peux comprendre que ça pose question. »

Si son premier album sorti, intitulé I Predict A Graceful Expulsion, possède une qualité, c’est en effet dans les accents de vérité crue qu’il semble dégager. Sur une trame folk austère, la voix habitée d’Al Spx se déploie par moments avec une ampleur et une assurance inouïes. Une assise qui tranche avec l’apparente jeunesse de l’intéressée, « officiellement » 24 ans. Certains ont fait le rapprochement avec les fields recordings d’Alan Lomax ou les enregistrements de l’Anthology of American Folk Music d’Harry Smith. « C’est vrai que pendant l’enregistrement, j’écoutais pas mal de musiciens des années 30, 40. Mais ce n’est pas une question de période dans le temps, mais plutôt d’un certain type de musique, d’un certain type d’engagement. Que l’on peut retrouver dans les enregistrements recueillis par Alan Lomax, mais aussi dans les disques plus soul de James Carr, Doris Duke… » Et l’influence gospel? « Oui, pas mal de gens m’en parlent. Mais je ne suis pas chrétienne, je ne l’ai jamais été. En même temps, il y a des références bibliques, donc cela peut semer la confusion. Mais je suis une personne confuse (sourires). « 

A l’écoute de sa musique, on pourrait éventuellement supputer qu’Al Spx est née dans un trou perdu du sud des Etats-Unis. Mais ce n’est même pas le cas. « J’ai grandi au Canada, mais je suis d’origine somalienne. Mes parents viennent de Mogadiscio, où mon père était prof de biologie. A un moment, ils ont dû partir et ont émigré au Canada. C’était plus compliqué de bosser, mon père a dû multiplier les petits boulots pour nourrir la famille. » De temps en temps, le paternel ressort son oud pour jouer des airs traditionnels. Mais son premier choc musical, Al Spx l’a connu avec les… Strokes. « Je voulais être Nick Valensi. Je pensais que c’était la personne la plus cool au monde (rires). J’avais 15, 16 ans, on bougeait tout le temps, de ville en ville. Je m’emmerdais pas mal. La guitare m’a tirée de ça. J’ai supplié ma mère pour qu’elle m’en offre une. On n’avait pas d’argent pour une électrique, mais j’ai reçu une acoustique avec laquelle je joue encore. »

London calling

C’est à ce moment-là qu’elle commence donc à pondre ses premières compos. Des démos apparaissent sur le Net avant de disparaître. Un pote les fait malgré tout écouter à son frère, lors d’une soirée, à Noël: Jim Anderson est producteur et propose alors à Al Spx de venir enregistrer un album chez lui, en Angleterre.  » Je venais d’arrêter mes études. J’enchaînais les petits jobs, sans but bien précis. » Sans vraiment y croire, mais sans avoir non plus grand-chose à perdre, elle quitte son job dans un call center, et s’envole pour l’Europe. Aujourd’hui, la voilà signée sur le prestigieux label Mute, récoltant les critiques louangeuses de la presse, nommée pour les Polaris Prize, l’équivalent canadien des Mercury. On la sent amusée par l’ironie de la situation. Un peu coincée aussi par des chansons qui n’étaient pas destinées à apercevoir autant la lumière. « Il y a certains morceaux que je ne peux plus chanter. Donc j’ai écrit des nouvelles chansons. Elles parlent d’autres personnes, de situations qui n’ont rien à voir avec moi. Ce qui est plutôt amusant. Et tellement plus facile. Récemment, j’ai donné une série de concerts en Amérique du Nord. A Dallas, je suis rentrée dans un magasin rempli de vieux machins. Je suis tombé sur un boîte remplie de photos, des portraits. Cela m’a donné pas mal d’idées. Je ne veux plus jamais écrire de musique sur moi. Je l’ai fait une fois, de manière assez honnête. Mais je n’ai aucune intention de recommencer. » Dont acte… l

COLD SPECKS, I PREDICT A GRACEFUL EXPULSION, MUTE/PIAS. EN CONCERT LE 28/08, AUX FEEËRIËN, À BRUXELLES; LE 30/09, AU BOTANIQUE, BRUXELLES; LE 7/10, AUX HEURES IND, À LIÈGE.

RENCONTRE LAURENT HOEBRECHTS

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