Critique

[le film de la semaine] First Cow, de Kelly Reichardt, un grand « petit » film

© Allyson Riggs / A24 Films
Jean-François Pluijgers
Jean-François Pluijgers Journaliste cinéma

Comme dans Meek’s Cutoff il y a une dizaine d’années, la cinéaste remonte aux origines de l’Amérique, situant en Oregon aux alentours de 1820 un récit aussi limpide que fascinant.

« L’oiseau a son nid, l’araignée sa toile, et l’homme l’amitié« : c’est sur cette citation de William Blake empruntée au Mariage du ciel et de l’enfer que s’ouvre First Cow, le septième long métrage de Kelly Reichardt. Comme dans Meek’s Cutoff il y a une dizaine d’années, la cinéaste remonte aux origines de l’Amérique, situant en Oregon aux alentours de 1820 un récit aussi limpide que fascinant. Alors qu’il progresse vers l’Ouest avec un petit groupe de trappeurs, Cookie (John Magaro), un cuistot placide et taciturne, rencontre inopinément, se tapissant dans l’épaisseur d’une forêt, King-Lu (Orion Lee), un immigrant chinois en cavale qu’il va aider à se cacher. L’amorce d’une amitié scellée lorsqu’ils se retrouvent au Royal West Pacific Trading Post, un comptoir rameutant des pionniers venus de tous horizons tenter leur chance dans un territoire encore vierge.

Partageant une cabane, les deux hommes vont faire cause commune, armés l’un de ses talents de cuisinier, l’autre d’un incontestable esprit d’entreprise. Moment où le destin vient leur donner un petit coup de pouce sous la forme d’une vache, la première de la région, arrivée sur une barge. Si sa présence n’a d’autre objet que d’assurer au notable britannique à la tête du service postal local (Toby Jones) le nuage de lait indispensable à son thé, les deux compères y voient l’opportunité de se lancer dans un commerce lucratif. Et de se risquer à traire l’animal de nuit en catimini, afin de fabriquer de délicieux beignets qu’ils vendent à des colons trop heureux de pouvoir échapper à leur morne ordinaire culinaire. Une entreprise qui, si elle est rapidement couronnée de succès, ne va pas sans risques cependant…

Du côté de l’intime

Kelly Reichardt a toujours eu le chic pour donner à des histoires à la modestie et à la simplicité de façade une ampleur insoupçonnée. Adapté du roman The Half-Life de Jon Raymond, son partenaire d’écriture depuis Old Joy, en 2006, First Cow ne déroge pas à la règle. Non contente d’y faire le récit émouvant (et magnifiquement incarné par John Magaro et Orion Lee) d’une amitié irréductible -motif valant au film une vibration lumineuse au diapason de sa souveraine sérénité-, la cinéaste y évoque les fondements de l’Amérique moderne et ceux, concomitants, du commerce et du capitalisme. Perspective qu’elle embrasse d’un regard critique mais sans jamais forcer le trait, Reichardt désamorçant les mythes l’air de rien, tout en se situant résolument du côté de l’intime. Pour livrer un grand « petit » film, venu confirmer, si besoin en était, qu’elle compte parmi les figures majeures du cinéma américain contemporain.

Drame/western De Kelly Reichardt. Avec John Magaro, Orion Lee, Toby Jones. 2h02. Sortie: 28/07. ****(*)

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