EN 1995, DE PUTA MADRE SORT UNE BALL DANS LA TÊTE, CONDENSÉ HIP HOP DU BRUXELLES NAUSÉEUX FIN DE SIÈCLE. MAI 2012, L’AB INVITE LES LASCARS À REFAIRE LEUR FRICHTI URBAIN DANS LA SÉRIE REWIND.

Juste une image ramenée des années 90. Une longue cohorte informe et braillarde de trente, peut-être quarante mecs, se déplace dans la gueule vermoulue de Bruxelles. Quartier: vers la Gare du Nord. Nature topographique: terrains plus que vagues, fantômes d’immeubles. Décors du jour: du graph jusqu’à l’overdose, du rouge dégueuli plaqué sur des briques dégradées, du bleu feutré, du noir déridé, de l’arc-en-ciel cambriolé. Ambiance politique générale: Tueurs du Brabant, CCC, WNP, parano, flicage. Les mecs ricanent, c’est cinématographique une bande. Comme un gros ver luisant qui donne de nouvelles lumières à la capitale, bienvenue chez RAB. Rien à Branler, c’est le nom du collectif, qui n’en a pas grand-chose à foutre, sauf du hip hop et de son bras armé de bombes, celui qui dessine des fresques au gré des chantiers, maisons abandonnées -ou pas-, rues borgnes ou avenues de verdure. C’est dans cette matrice urbaine fatiguée, du côté de Schaerbeek -prononcez SCCCCChaerbeek- que les futurs De Puta Madre font leurs premières affaires.

Juste une image des années 2012. Rayer, P. Gonzalez et Smimooz Exel, respectivement Rayer, Pablo et Mathias, dans la cafétaria du Botanique. Age moyen: 38 ans. Humeur: bonne, voire joyeuse. Rayer:  » Jusqu’ici, on n’avait jamais pu sortir le premier album, Une ball dans la tête , en vinyle. La matrice coûtait cher, on ne l’avait pas commercialisé sur ce support et puis, récemment, on s’est décidé à en presser 1000 (doubles) vinyles. C’est là que l’Ancienne Belgique est venue nous chercher et nous a proposé de rejouer le disque dans sa série Rewind. Ce n’est donc pas une réédition mais une édition. » Premier groupe francophone à décrocher cet insidieux honneur ABesque, De Puta Madre a rassemblé ses troupes au printemps: pas trop difficile en ce qui concerne Rayer et Smimooz/Mathias, toujours bruxellois, mais fallait rapatrier Pablo de son spanish refuge de Valence où il a décampé il y a quatre ans pour toutes les raisons évidentes, soleil et désir d’exporter ses talents de peintre/graffeur sous le nom de Sozyone Gonzalez. Pablo et Mathias se rencontrent ados, à St Luc, école artistique de Saint-Gilles. Pablo:  » Je faisais un peu le malin, je croyais tout savoir et puis je rencontre Mathias qui s’était aussi fait virer du cours de gym. On est sur le banc, je lui sors Ice-T, il me fait Slick Rick. Le soir même, on s’est retrouvés à écouter de la musique ensemble. » Dans un film américain, les deux post-ados qui vont d’abord se retrouver dans Rien à Branler forment une pointe d’échantillon socio-chose. Pablo est fils d’immigrés espagnols partis des Asturies en 1969 pour trouver du boulot vers le nord, Mathias est progéniture de (bon) journalisme-« vedette » de la RTBF, Jean-Jacques Jespers, fiston pressé d’écrire d’autres genres de missives.

Trash pas bobo

Le troisième larron, Rayer, est né en 1974 à Salé, ville qui fait face à Rabat. Il arrive en Belgique à l’âge de 5 ans et, en parfait Maroxellois, télescope le trajet des deux autres.  » Dans cette clique de potes de RAB, on avait du respect les uns pour les autres, ce n’était pas la classe sociale ou l’origine nationale qui faisait le kif. Par contre, on vivait tous la même chose: dans les années 90, Schaerbeek était beaucoup plus trash, pas encore du tout le quartier bobo actuel. L’héroïne était partout, en face de chez nous, donc avec la violence, les agressions, le deal. Aujourd’hui, c’est plus calme, l’héro est partie à Liège ou ailleurs. » Rayer a fait des études de communication et, aujourd’hui, vit essentiellement de l’organisation d’événements,  » souvent en connection avec la musique ». Mais son allure de gendre idéal -il va adorer celle-là- n’empêche pas une vision lame de rasoir de la ville. Plus que jamais, Rayer pense que De Puta Madre « peut tout se permettre. Avant, la tension était utilisée comme moteur du travail. On sait parfaitement qu’on n’est pas dans le Bronx, mais on a développé notre propre vision un peu dingue de Bruxelles. » Une question -on n’y aurait pas pensé alors, on y pense maintenant-: dans les 17 ans qui séparent l’album original de son remake scénique, la religion -musulmane- a-t-elle pris plus de place? Rayer, qui est croyant, dit simplement  » qu’elle a toujours été là, mais à titre individuel, sans que cela ne fasse partie de notre musique ».

Au fait, ça sonne comment un disque belge de hip hop 1995? En toute franchise, étonnamment bien. Alors oui, Chienne des rues (sic) n’aura pas le Grand Prix MLF des années 90 avec ses lyrics bétonnés dans la langue (de pute?) des mecs de 20 ans, la bite à l’air:  » Les chiennes de rue qui te baisent tranquille (…) elle suce devant sa s£ur, ô putain, la chienne. » On ne dit pas que c’est jamais comme ça, on dit juste que ce n’est pas amené sous le style brodé d’Eric-Emmanuel Schmitt. D’accord, c’est plus sain, même si ces « allez tous vous faire mettre » et autre  » partout, on fout le bordel » parsemés dans Une ball dans la tête ressemblent aux giclées post-ados qui pointent quand l’adrénaline pure sert de Point G. Reste qu’il y a dans ce disque une dose plombée de matière irréductible, de sincérité électrique, de déclaration sur l’honneur à vouloir être libre. Et puis aussi un groove bien gras, comme si James Brown était né dans les seventies, Place Liedts, juste un peu plus pâle. Egalement des bribes de la  » romance de la voyoucratie » que Pablo,  » gentleman graffiteur », a bien connu, des voltiges sonores de Mathias et Rayer, le tout donnant un polaroïd d’époque qui, par ses bidouillages de Casio, de samplers de talkie-walkie chopés sur la police (…) et autres pirates urbains, résonne telle une gueule de bois qu’on aimerait bien se repayer. Suite sur la scène de l’AB.

EN CONCERT LE 10 MAI À L’ANCIENNE BELGIQUE, WWW.ABCONCERTS.BE, DOUBLE VINYLE UNE BALL DANS LA TÊTE SUR 9MM RECORDZ.

RENCONTRE ET PHOTO PHILIPPE CORNET

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