Si vous vous sentez l’âme d’un Scorsese, un conseil: expatriez-vous ou alors rangez dans un tiroir vos rêves de cinéma. A moins bien sûr d’aimer les défis impossibles. Car il vous faudra franchir plus d’obstacles que sur un 3000 mètres steeple. Entre autres, ne pas se faire recaler au guichet des aides communautaires et éviter l’écueil de la campagne de dénigrement avant même que la première bobine soit tournée. Une épine enfoncée dans le pied de Joachim Lafosse par les avocats de Bouchaïd Moqadem, l’ex-mari de Geneviève Lhermitte, qui voudraient le priver de la subvention allouée par la Culture pour la réalisation d’un film inspiré de l’histoire tragique de cette famille. Motif: le scénario travestirait la vérité. Drôle de procès. Depuis quand une £uvre de fiction trahit-elle la vérité? Le cinéma s’inspire des faits réels (encore à vif ici il est vrai). Il ne prétend pas les photocopier. Mais revenons à la première sta-tion de ce chemin de croix. Début janvier, Pascal Adant, un cinéaste de court métrage énervé, se fendait d’un coup de gueule dans Paris Match. Selon lui, la Commission de sélection des films de la Communauté française, qui octroie des subsides à la création, pratiquerait le copinage intensif et aurait une  » fâcheuse tendance à favoriser des films barbants« . Réceptacle d’une aigreur portée à ébullition par les refus successifs, cet autodidacte remettait en fait au goût du jour la vieille opposi-tion entre film populaire – supposé divertissant, léger et accessible au plus grand nombre – et film d’auteur – un cocktail assommant de déprime, de prise de tête et d’audience confetti. Une rengaine à combustion médiatique ins-tantanée qui n’est pas sans rappeler la polémique en France autour des Ch’tis, plébiscités en salle, snobés aux César. Pour enfoncer le clou, le recalé prenait à témoin le peu d’intérêt de la population francophone pour le cinéma du terroir. Sur ce point, difficile de lui donner tort. Les chiffres de fréquentation des rejetons de Stephan Carpiaux ( Les fourmis rouges) ou de Diego Martinez Vignatti ( La Marea) font pitié. Un désamour confirmé par une étude récente de la Communauté française. Méconnaissance crasse – Dardenne exceptés – et clichés miséreux collent à la toile d’un cinéma belge francophone dont le niveau de popularité doit avoisiner celui de l’administration fiscale. La faute au vernis social? Mais est-ce un hasard si les cinéastes labourent cette terre lourde? N’est-ce pas tout simplement le reflet d’une réalité terne. Quand on vit 10 mois par an sous un ciel gris, qu’on passe son temps à se chamailler avec ses voisins, qu’on porte sur les épaules le fardeau d’un passé carbonisé, il ne faut pas s’attendre à du cinéma champagne. Bref, on a les films qu’on mérite. Ne pas les aimer tels qu’ils sont, c’est un peu ne pas s’aimer soi-même.

Par Laurent Raphaël

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content