Fascinations d’une île

Force (2015), de Kohei Nawa
Michel Verlinden
Michel Verlinden Journaliste

En marge d’une programmation consacrée à l’architecture, le Pompidou Metz propose une expo qui explore l’odyssée culturelle nipponne depuis 1970.

Japanorama

Centre Pompidou Metz, 1 parvis des Droits de l’Homme, à Metz. Jusqu’au 05/03.

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Dans ses Carnets du Japon 1964-1970, intitulés également Le Vide et le Plein, Nicolas Bouvier notait: « Japon, pays de toutes les nuances du bois, de la mousse, du thé amer et de toutes ces grosses flûtes de bambou dans lesquelles on engouffre l’air par litres pour obtenir cette note basse et tremblante qui en dit long sur le pays. » Nombreux sont les écrivains et les voyageurs qui se sont émerveillés devant le caractère kaléidoscopique de cet état-nation insulaire, la nuance étant probablement la seconde nature du Japon. Dans ce contexte éclaté, on ne pouvait que souhaiter un propos d’exposition qui remonte aux sources de la fascination, qui pointe une globalité, ne serait-ce que celle des arts visuels. De manière très inspirée, Japanorama relève ce défi avec brio. Depuis les années 70 jusqu’à aujourd’hui, ce parcours imaginé par Yuko Hasegawa, directrice artistique du Musée d’art contemporain de Tokyo, et mis en scène par l’agence SANAA, pour rappel le Prix Pritzker 2010, montre les voies -matérialistes, conceptuelles…- empruntées par les artistes pour faire valoir leur propos. À la chronologie fallacieuse et faussement pédagogique, Hasegawa a préféré un propos thématique faisant place à des « îlots » qui ne sont pas sans rappeler la structure même de l’archipel. « Objet étrange/Corps post-humain« , « Pop« , « Collaboration/Participation/Partage« , « Politiques et poétiques de la résistance« , « Subjectivité« , « Matérialité et minimalisme« , tels sont les grands chapitres qui structurent la scénographie. Abordant tant la création avec un « C » majuscule que les sous-cultures, Japonorama dépasse les habituelles catégories esthétiques « zen » et « kawaï » qui sont invariablement de mise lorsque, de l’étranger, on évoque cette culture qui a le fait social tatoué à même la peau -« Si l’homme est un animal social, il ne l’aura jamais été autant qu’au Japon« , écrit encore Bouvier.

Morceaux choisis

Déployée sur deux niveaux, l’exposition fait place à un nombre conséquent d’oeuvres, à vue de nez plus de 200. Impossible donc de s’embarquer pour ne serait-ce qu’un aperçu linéaire du parcours. On préfère donc mentionner quelques temps forts dans l’espoir de susciter l’envie. Parmi les repères marquants, on pointe Force (2015), une installation de Kohei Nawa qui a médusé les réseaux sociaux. Monumentale, la pièce laisse s’échapper verticalement des filets d’huile de silicone. L’oeil, quant à lui, peine à trancher: s’agit-il de solide, de fils de nylon ou de liquide? Toujours est-il que les niveaux de lecture sont pluriels: « pluie noire » évoquant Hiroshima, société du code-barres, voire omniprésence du pétrole, ce lubrifiant social d’un genre particulier. On aime aussi les images d’Eikoh Hosoe, très emblématiques du surgissement de la subjectivité -la même qu’emprunteront Araki et Moriyama- à travers ses variations autour de la figure du comédien Simmon. Remarquable également est la diffusion de certains messages politiques par des prismes inattendus. Ainsi des figures de Yoshimoto Nara, montrant des jeunes filles au regard menaçant, voire au bord de se passer la corde autour du cou… Quand la pureté et l’innocence mettent le monde des adultes en question. L’exemple illustre parfaitement cette poétique de la résistance non frontale. Depuis Marcuse, on le sait: « Plus une oeuvre est ouvertement politique, plus elle perd de son pouvoir. »

Www.centrepompidou-metz.fr

MICHEL VERLINDEN

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