Adapté de Roald Dahl, Fantastic Mr. Fox voit Wes Anderson, le réalisateur de The Darjeeling Limited, s’aventurer du côté de l’animation image par image. Une technique à sa main, pour un film en tous points enchanteur.
Wes Anderson, le réalisateur des Royal Tenenbaums et autre Life Aquatic With Steve Zissou tournant un film d’animation en stop motion, il y avait de quoi faire frétiller la planète cinéma. Entamé il y a une quinzaine d’années, le parcours du cinéaste texan l’a vu mettre en place un univers on ne peut plus personnel, un cocktail savant d’humour décalé, de détachement élégant et d’excentricité foisonnante, traversé aussi de mélancolie douce – celle-là même qu’engendrerait le souvenir d’un avant idéal, largement fantasmé. Une perspective incomplète si l’on n’y ajoutait, outre un style identifiable entre tous, une propension au clin d’£il doublée d’un penchant pour les attentions maniaques. Nul doute qu’en d’autres temps, Anderson aurait fait un miniaturiste hors pair; à défaut, voilà un réalisateur poussant le souci du détail jusqu’à demander à son décorateur de The Darjeeling Limited de veiller à ce que les assiettes peintes à la main composant le service du wagon-restaurant présentent toutes des motifs différents. Autant dire qu’il était armé pour se lancer dans l’aventure méticuleuse d’un dessin animé réalisé à l’ancienne, image par image, avec, dans les rôles principaux, des marionnettes arborant fourrures et costumes seyants.
Ce postulat, un plan de Fantastic Mr. Fox (Fantastique Maître Renard) suffit d’ailleurs à s’en convaincre. Comme Charlie et la chocolaterie et autre Matilda, l’histoire en est empruntée à Roald Dahl, auteur britannique révéré. C’est, du reste, au Festival de Londres, en octobre dernier, qu’avait lieu la première du film, saluée comme un événement. On retrouvait, le lendemain, un Wes Anderson détendu, dandy au naturel s’affichant dans un costume en velours que l’on aurait pu croire sorti de la garde-robe de Maître Renard soi-même. « Fantastic Mr. Fox est le premier livre que j’ai jamais possédé, je l’adorais, enfant, et il n’a cessé de m’accompagner. Il y a une dizaine d’années, j’avais approché Liccy Dahl, la veuve de Roald Dahl, pour lui demander l’autorisation de l’adapter… » Anderson étant engagé sur divers projets, l’entreprise met quelque temps à se dessiner, après quoi le réalisateur et son coscénariste, Noah Baumbach (déjà coauteur de The Life Aquatic), embarquent pour Gipsy House, le cottage où vivait Roald Dahl, dans le Buckinghamshire. « Lorsque j’y étais allé en visite, j’avais compris combien Gipsy House pourrait s’avérer une source d’inspiration, en plus d’être un endroit on ne peut plus relaxant et confortable pour écrire. Nous avons, en fait, modelé l’ensemble du film sur ce lieu et ses environs: le scénario fourmille de détails que nous y avons trouvés. Nous avons également pu consulter les archives de Roald Dahl; la fin du film, par exemple, provient de son manuscrit original pour Fantastic Mr. Fox , et Dahl, lui-même, est aussi devenu le sujet du film. »
En un clin d’£il savoureux, l’auteur, disparu en 1990, a servi de modèle à l’une des marionnettes campant les fermiers affrontant le renard et les siens (les autres étant inspirées de Donald Pleasence et de Charles Laughton), Anderson ayant opté pour une technique ancestrale pour mettre en formes ce combat entre les règnes animalier et humain. « Je n’ai jamais envisagé d’autre méthode, explique le réalisateur qui découvre là le cinéma d’animation. J’ai toujours adoré la technique de l’animation en stop motion. En particulier les films avec des marionnettes d’animaux qui ont une fourrure. » Et d’évoquer plus particulièrement l’impression indélébile qu’avait produite sur lui Le Roman de Renard, réalisé en 1941 par Ladislas Starevitch, et influence revendiquée pour ce film.
S’il s’inscrit donc dans une tradition déjà ancienne, Fantastic Mr. Fox n’en est pas moins le résultat d’une approche toute singulière de l’animation. Ainsi, par exemple, des voix, enregistrées non pas individuellement en studio, mais en groupe dans un décor naturel (une méthode n’étant pas sans rappeler celle adoptée par Spike Jonze pour Where the Wild Things Are). Anderson a donc invité une partie de son casting – réunissant notamment George Clooney, Meryl Streep et les incontournables Bill Murray, Jason Schwartzman ou autre Owen Wilson – à se réunir dans une ferme du Connecticut, pour y discuter volaille et rapines de renards. « Je voulais des acteurs aussi naturels que possible, dans une option presque documentaire, afin d’obtenir une version fort naturaliste du scénario. Voilà la raison pour laquelle nous avons enregistré dans ces conditions plutôt qu’en studio. »
« On m’a souvent demandé pourquoi les gens qui travaillent avec Wes ont l’impression d’appartenir à une famille, relève pour sa part Jason Schwartzman, l’un des acteurs fétiches du cinéaste depuis Rushmore, et l’interprète cette fois de Ash, le fils délaissé de Maître Renard. La raison en est que ses films sont uniques et correspondent exclusivement à sa vision des choses, mais aussi qu’il les tourne d’une façon singulière et peu orthodoxe. Lorsqu’il travaille à un scénario, Wes ne fait pas qu’écrire le film, il visualise la manière dont il va le faire. Pour The Darjeeling Limited , par exemple, il m’a dit d’emblée penser à un film sur trois frères en Inde, mais aussi vouloir tourner ce film dans un train en mouvement. Il avait déjà une idée de l’expérience qu’il souhaitait vivre. Même chose pour celui-ci, où il tenait à ce que nous soyons tous ensemble, dans des décors champêtres ou dans une grange, pour capturer nos prestations en live, comme on le ferait au théâtre. Et je pense que cela se ressent dans le film. C’est cela aussi qui fait d’un tel film une expérience incroyable, cela ne ressemble absolument pas à la façon traditionnelle de procéder. »
Paris sur Londres
Là n’est pas pour autant la seule excentricité à laquelle se soit livré le réalisateur. Wes Anderson a, en effet, dirigé une bonne partie du tournage de Fantastic Mr. Fox dans les studios de Three Mills, à Londres, depuis… son appartement parisien, d’où il supervisait le travail des animateurs. « L’animation est un processus très lent et minutieux, observe-t-il. A certains moments, nous avions jusqu’à 30 unités travaillant simultanément sur le film. Et tout est terriblement absorbant, il faut sans cesse remettre l’ouvrage sur le métier. Nous avons donc imaginé un logiciel grâce auquel, même si je venais de temps à autre à Londres, il m’était possible de voir de chez moi, par caméras interposées, ce qui se passait sur les différents plateaux. Cela me permettait de travailler avec tout le monde, les centaines de personnes qui s’occupaient du design, préparaient ou exécutaient les prises. Trouver une façon appropriée de fonctionner faisait partie du processus, au même titre que tourner le film. »
Le résultat est rien moins que bluffant, pour un film résolument enchanteur qui ne se contente pas de remettre une forme d’animation réputée désuète au goût du jour, mais réussit aussi à restituer fidèlement l’univers de Roald Dahl tout en ouvrant sur celui, tellement codé, de Wes Anderson. « Mon intention n’était pas de faire une histoire de Wes Anderson mais bien de Roald Dahl. Le simple fait de m’y atteler la rend toutefois identifiable. Le livre parle de la famille Renard, mais la façon dont elle est développée m’appartient. Au moment d’écrire le scénario, nous avons essayé d’imaginer comment Dahl aurait articulé l’histoire pour en faire un film. Mais à partir d’un moment, c’est aussi mon imagination qui est à l’£uvre, et c’est pourquoi cela peut apparaître comme du Wes Anderson. » Ce qui, accessoirement, situe le film au croisement de publics potentiellement différents. « J’ai tourné sans avoir de public particulier à l’esprit. J’ai pensé faire un film pour enfants, sans me restreindre pour autant. Enfant, j’ai été habitué à ne pas toujours tout comprendre, mais à poser des questions. Donc, pour moi, Fantastic Mr. Fox est un film pour enfants, mais destiné à tous les publics. » On ne saurait mieux dire: Fantastic Mr. Fox? Fantastic Mr. Anderson!
Rencontre Jean-François Pluijgers, à Londres
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