Laurent Hoebrechts
Laurent Hoebrechts Journaliste musique

L’ICÔNE DU SWINGING LONDON FÊTE SES 50 ANS DE CARRIÈRE AVEC UN NOUVEAU DISQUE DE ROCK « BRECHTIEN » ET VISCÉRAL. LA GRANDE CLASSE.

Marianne Faithfull

« Give My Love To London »

DISTRIBUÉ PAR NAÏVE/PIAS.

8

Sur la pochette de son dernier album, Marianne Faithfull apparaît rêveuse, le regard perdu dans un nuage de fumée de cigarette. Comme quoi, elle a beau avoir éteint sa dernière clope il y a près d’un an, rien ne semble pouvoir l’éloigner de l’image de baronne décadente du rock… Cela fait 50 ans que cela dure. Depuis cette fameuse soirée de 1964 au cours de laquelle la jeune collégienne est tombée sur le manager des Stones. Ce soir-là, Andrew Loog Oldham lui proposera une carrière de chanteuse (As Tears Go By) et lui fera rencontrer les Rolling Stones, pour le meilleur et pour le pire.

Depuis, Lady Marianne a vécu, et surtout survécu: à la gloire, la drogue, la déchéance, à un cancer aussi. Plus récemment, elle s’est encore brisé le dos dans une chute, clouée au lit pendant plus de six mois. Ironie du sort: pour soulager la douleur, les docteurs lui ont prescrit de l’opium, elle qui co-écrivait en 68 l’emblématique Sister Morphine, avec la paire Jagger/Richards…

Le résultat est là: en 2014, les Stones ressemblent de plus en plus à des patachons du rock, tandis que Faithfull continue de sortir des albums vibrants. Après 50 ans de carrière, elle ne lâche toujours rien. Le titre de son dernier album pourrait laisser penser éventuellement qu’elle allait profiter de l’occasion pour se réconcilier avec sa ville natale, qu’elle a quittée depuis longtemps pour Paris. Co-écrit avec Steve Earle, Give My Love To London est beaucoup plus ambigu que ça, entre nostalgie et envie d’en découdre avec la cité qui l’a faite passer du « paradis à l’enfer« .

London Calling

A ses côtés, le groupe du moment compte notamment Ed Harcourt, Adrian Utley (Portishead), Warren Ellis (Bad Seeds) rejoints par Nick Cave, Anna Calvi ou même Brian Eno qui passe faire les choeurs sur Going Home. C’est néanmoins toujours le charisme victorien et la voix vinaigrée de Marianne Faithfull qui monopolisent l’attention, ce mélange de tenue aristocratique et de gouaille vacharde. Comme quand elle éructe son dégoût à la fin du saisissant Mother Wolf (« My God, how you disgust me »), à la fois théâtrale et viscérale. Sur Sparrows Will Sing, elle voit le pire, grince des dents, mais espère malgré tout encore le meilleur, galvanisée par une rythmique à la Velvet Underground. Là encore, elle incarne une classe rock débarrassée de toute coquetterie, survivante d’un pacte faustien à qui on ne la fait plus. « Callooh Callay« , grimace-t-elle, citant le poème absurde de Lewis Carroll dans Alice au pays des merveilles… Il faut dire que Faithfull est souvent allée voir de « l’autre côté ». Morceau-charnière, Late Victorian Holocaust sonne ainsi comme une version inversée et romantique de Sister Morphine. Même quand elle s’amuse à reprendre les Everly Brothers (The Price of Love), Marianne Faithfull tranche dans le vif.

En toute fin d’album, elle s’attaque encore au standard d’Hoagy Carmichael, I Get Along Without You Very Well. Bien sûr, elle n’a pas le velouté de Frank Sinatra ou Chet Baker, mais un autre type de magie et d’attraction opère. « Se passer » de Marianne Faithfull? Il n’en est toujours pas question.

EN CONCERT LE 19/11, À BOZAR, BRUXELLES.

LAURENT HOEBRECHTS

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