IL Y A UNE VIE APRÈS LADY GAGA. DE ROBYN À JANELLE MONAE, LA POP AU FÉMININ NE SE LIMITE PAS À L’EURODANCE EXTRAVAGANTE DE STEFANI GERMANOTTA.

Elle a squatté l’avant-scène toute l’année 2010, ramenant la lumière des projecteurs en permanence sur elle. Et ce n’est pas fini. Autant prévenir les allergiques au phénomène: Lady Gaga devrait encore faire parler d’elle. Un nouvel album, intitulé Born This Way, est par exemple prévu pour le début de l’année prochaine.

Mais si Lady Gaga définit une bonne partie de la pop actuelle, elle ne la résume pas entièrement. Des itinéraires bis existent. Il suffit de se pencher sur les classements des hit-parades pour s’en convaincre. On peut être une fille, investir le format pop, enchaîner des tubes, et ne pas forcément défiler dans une robe en jambon de Bayonne ou arborer une coiffe extravagante. Pas de fronde organisée, ni mouvement conséquent au programme. Mais une série d’individualités rafraîchissantes, alter-Gaga plutôt qu’anti-Gaga…

Blonde Bob

Sia Furler, par exemple. En 2010, elle a cartonné avec son album We Are Born, boosté notamment par le hit Clap Your Hands. Loin de tout matraquage intensif, elle a construit patiemment sa notoriété. A sa manière, sans vraiment suivre de règles précises, chantant à la fois pour Zero 7, combo trip hop anglais, et collaborant avec Beck. Une sorte d’électron libre, qui a dû composer avec un « handicap » de départ. Sia n’est en effet ni anglaise, ni américaine, mais bien australienne. Quand on la rencontre en 2009, elle explique, entre deux grands éclats de rires: « On a pris l’habitude de s’infiltrer par la bande, de tourner en périphérie. » Même si la vérité veut aussi que cela fait maintenant une bonne douzaine d’années que Sia ne vit plus en Australie.

C’est en 97 qu’elle part pour Londres. Elle y rejoint son fiancé, pour s’y s’installer avec lui. Mais quelques jours avant son arrivée, celui-ci se fait renverser par une voiture et meurt sur le coup. Après les funérailles, Sia restera sur place. Avec les amis de son boyfriend, elle s’échappera dans la boisson et la drogue. Elle mettra 6 ans et 2 albums torturés – Healing Is Difficult (2000) et Colour The Small One (2004)- avant de commencer à s’en remettre – Some People Have Real Problems (2008). « Je sais que je ne corresponds à rien. Je ne suis pas l’American sweetheart ni la garce,… S’il fallait me caricaturer, je serais l’espèce de Bob blonde, avec un arc-en-ciel en dessous (rires) . Tout le monde a trouvé une place. Moi je ne sais pas encore vraiment où je me situe. Mais ça me va bien. C’est même la meilleure place pour moi. « 

Sia ne cadre en effet pas trop avec les canons habituels. Bisexuelle, elle évite jusqu’ici de faire de la cause gay un argument marketing, comme s’y emploie régulièrement Gaga. Aux clips hyper érotisés, elle préfère aussi souvent les vidéos ludiques, voire enfantines, faites avec 3 bouts de ficelle. « Je crois que j’ai encore des difficultés à intégrer l’adulte. Je suis tout à fait dans la régression. En fait, quand je passe à l’artistique, je redeviens une gamine, c’est pour ça que mes vidéos sont toujours un peu fofolles. Mes chansons sont les adultes. La dichotomie peut être troublante pour certains qui n’arrivent pas à faire le lien. Mais les deux facettes sont en moi. Ils ne sont pas en compétition, ils vivent l’un à côté de l’autre. « 

Culture Club

Le cas de Robyn n’est pas moins intéressant. La jeune femme a sorti cette année pas moins de 3 disques. Regroupés sous l’intitulé Body Talk, ils contiennent les hits Dancing On My Own ou Hang With Me. Comme Sia, elle ne vient ni de Manchester ni de Los Angeles. En effet, Robin Miriam Carlsson, de son vrai nom, est née à Stockholm (1979). Banlieue de la pop, la Suède y a cependant toujours joué un rôle prépondérant -disproportionné même pour une population équivalente à celle de la Belgique. De Suède sont ainsi sortis Abba, The Cardigans, Roxette… Aujourd’hui, c’est au tour de Robyn de prendre la tête du rayon export, avec une dance music qui continuerait à vouloir dire des choses plus personnelles. C’est évidemment là que la pop devient la plus intéressante: quand, dans un format capable de séduire le plus grand nombre, elle arrive à proposer un discours sinon original, au moins authentique.

Un véritable numéro d’équilibriste que Robyn a pris du temps à mettre au point. Quand elle débute sa carrière à l’âge de 16 ans, elle n’a pas toutes les cartes en main. Rencontrée avant son récent concert au Botanique, elle détaille: « On ne me disait pas ce que je devais faire. Je ne me sentais pas comme une victime. Mais quand vous êtes signé sur une major, que vous devez réaliser le produit que ce genre de compagnie entend vendre, il y a forcément un moment où vous vous censurez. Vous ajustez les choses pour être certain que cela soit assez intéressant pour eux. Mais je ne le regrette pas. J’étais jeune, j’écrivais mes chansons, je travaillais avec plein de monde. A un moment, j’en suis cependant arrivé à un point où je devais passer à autre chose. C’est comme ça que j’ai créé mon propre label. »

Son indépendance, Robyn y tient farouchement. Ce n’est pas qu’un gimmick. Sortir 3 albums en quelques mois est une belle preuve d’audace dans une industrie du disque qui n’a jamais trouvé la parade au téléchargement. « Mais rester sur place et ne rien faire est peut-être encore plus risqué. «  Pour l’artwork de Body Talk, elle s’amuse même à présenter l’objet comme s’il s’agissait d’un CD copié. « On a reçu récemment un e-mail d’une chaîne de disques qui voulait s’assurer qu’on leur avait bien livré des CD originaux. »

Amusant: à ses débuts, Robyn était volontiers présentée comme une sorte de Britney Spears alternative. Aujourd’hui, c’est à Lady Gaga que la Suédoise est régulièrement ramenée, décrite comme une sorte d’antidote aux visées expansionnistes de l’Américaine. Quand on lui en parle, Robyn botte évidemment en touche. Pas folle… « En tant qu’artiste féminine, vous êtes toujours censée avoir un avis sur les autres filles. Je ne pense pas qu’on pose autant ce genre de questions aux garçons. On me présente comme une anti-Lady Gaga. Je m’en fous. Ce n’est pas à moi de juger. »

Au moins, la Suédoise a un avantage. Celui du terrain. Les tics eurodance que Lady Gaga a importés en masse dans sa musique, Robyn les connaît en effet par c£ur. « Mes parents faisaient partie d’une troupe de théâtre expérimentale, mais ils ont toujours passé beaucoup de pop music: des Beatles aux Talking Heads, en passant par Bowie, Laurie Anderson… Moi, j’écoutais Michael Jackson, Janet Jackson, Brandy,… et ensuite pas mal de hip hop: le Wu Tang Clan, Biggie, Snoop Dogg… Mais, au même moment, ce qui m’a peut-être le plus influencé, c’est la musique dance: Technotronic, KLF, Snap… Body Talk est pas mal inspiré par le club. Pas seulement pour la musique qu’on y écoute, mais pour l’endroit même, un lieu important pour ma génération…  »

Working Class Hero

Avec sa dent cassée, sa coupe de coiffeuse peroxydée et ses tenues de garçon manqué, Robyn est aussi très loin des extravagances vestimentaires de Lady Gaga. Question de look et surtout d’attitude. « Je sais bien que, dans la pop, l’image est aussi un facteur important. Mais pour moi, cela n’implique pas forcément des paillettes et des tenues hors de prix. En la matière, je préfère que cela soit fun, ludique. Et pertinent. Le but est que cela reste léger, tout en étant assez courageux que pour dire des choses vraies. Il ne s’agit pas de provoquer, mais d’éviter de prendre forcément le chemin le plus facile. »

Janelle Monae non plus n’a pas choisi la voie la plus évidente. A 25 ans, l’Américaine a sorti un premier album phénoménal, terriblement audacieux. Découpé en 2 mouvements, The ArchAndroid brasse les genres pour parcourir près de 100 ans de musique populaire américaine, de Gerschwin à Outkast, de Jimi Hendrix à James Brown. Mégalo? A l’instar de l’offensive mondiale lancée par Lady Gaga, Monae ne manque pas d’ambition (elle veut enchaîner avec une comédie musicale et une bande dessinée…). Mais là où Lady Gaga ne néglige pas un certain vulgaire de luna park pour y parvenir, Janelle Monae préfère le n£ud pap’ et le costume noir et blanc. Dans un article du magazine Vibrations du mois de juillet dernier, elle expliquait notamment: « Je porte un uniforme noir et blanc pour la classe ouvrière (…) Je me sens liée avec ceux qui triment chaque jour, et ils doivent être motivés. Ils ont besoin d’être motivés et d’être inspirés, car ils essaient de créer quelque chose à partir de rien, et il s’agit de leur rendre hommage. »

Robot après tout

Sia, Robyn, Janelle Monae… La Roux aussi, ou Florence & The Machine… Les alternatives ne manquent pas. Et en même temps, à bien y regarder, un thème commun ressort: celui du robot. Avec son regard vide, ses tenues métalliques, et son érotisme clinique, Lady Gaga incarne ainsi régulièrement la figure de la machine. Un peu à la manière d’une certaine tradition afro-américaine, qui, de Sun Ra à Parliament, a souvent emprunté à la science-fiction le moyen de s’évader, de fuir sa condition de minorité opprimée. Dans son disque, par exemple, Janelle Monae incarne un androïde, nommée Cindy Mayweather. « L’androïde représente l’autre, la minorité: que ce soit une personne noire ou un immigrant venu d’un autre pays. » Ou une femme?

Robyn prolonge: « Je suis féministe, oui. Ce serait même dingue de ne pas l’être. Beaucoup de gens dans le monde sont discriminés, mais je pense que le groupe le plus important reste celui des femmes. » Sur la pochette de Body Talk Talk 1, elle apparaît reliée à une série d’électrodes. Sur le même disque, elle chante Fembot. « I’ve got some news for you, Fembot have feelings too. «  Entre parenthèse, Janelle Monae ne dit pas autre chose: dans le clip de Cold War, elle fond en larmes, face caméra…

Robyn: « La figure du robot me fascine. C’est ce que font les êtres humains tout le temps: essayer de recréer la réalité, que ce soit dans un film ou un jeu vidéo… Le concept d’un club, c’est pareil. C’est un endroit créé pour aller danser, prendre des drogues, rentrer saoul, dans le but final de se sentir plus vivant. C’est un artifice. Le robot est la version extrême de cela. Une métaphore. Pour un artiste, c’est très intéressant. Il est comme un être humain, mais en plus simple. C’est plus facile de mettre le doigt sur quelque chose. En fait, donner une émotion à un robot le rend encore plus émouvant. «  La chanteuse prolonge: « Il ne s’agit pas d’une pose futuriste. Pour moi, il s’agit du présent, de la manière dont les sciences intègrent nos vies actuelles. Le but de la technologie, c’est de rendre l’existence plus facile et de pouvoir consacrer plus de temps à notre vie émotionnelle. Aujourd’hui, avec le Net par exemple, on s’en rapproche de plus en plus. Vous pouvez y trouver aussi bien de la musique que le grand amour. En fait, on est déjà des sortes de cyborg… «  En 2007, une étude britannique montrait que pour la première fois, les utilisatrices du Web passaient plus de temps derrière leur ordinateur que leurs collègues masculins. On sait maintenant où s’achèvera la lutte féministe…

ROBYN, BODY TALK, UNIVERSAL. EN CONCERT LE 10/03, À L’AB, BRUXELLES (COMPLET).

JANELLE MONAE, THE ARCHANDROID, WARNER. SON CONCERT ANNULÉ DE DÉCEMBRE EST REPROGRAMMÉ AU 20/02, AU BOTANIQUE, BRUXELLES.

SIA, WE ARE BORN, UNIVERSAL.

TEXTE LAURENT HOEBRECHTS

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