AVEC SON NOUVEL ALBUM, CHARAKTERSKETCH, WIM MERTENS OUVRE UN TRIPTYQUE. ET SE DEMANDE OÙ VA LE RÊVE EUROPÉEN?…

Début juillet. L’Europe se rapproche du Grexit. L’Union n’en a plus que le nom. Stupeurs et tremblements sur le Vieux Continent. « Hier, pour la première fois, j’ai entendu prononcer le mot « chaos ». Comme si Angela Merkel ne s’était pas rendu compte qu’on était assis au bord du gouffre, alors que depuis dix ans elle est l’une des principales responsables politiques européennes, l’une de ses personnalités les plus puissantes. » Ne comptez pas sur Wim Mertens pour se lancer plus loin dans de grands débats politico-financiers. Pas le genre de la maison. Ou alors par la bande, avec ses propres armes, comme il le fait sur son nouvel album, intitulé Charaktersketch.

Depuis plus de 30 ans, le musicien (Neerpelt, 1953) se tient aux avant-postes d’une certaine musique classique, frayant régulièrement avec le courant minimaliste. Cela a donné au moins un album culte du patrimoine musical belgo-belge (Struggle For Pleasure, 1983). Honoré d’une étoile sur le « parvis of fame » de l’Ancienne Belgique, il a produit un morceau connu de tous: l’indicatif publicitaire de la marque historique de téléphonie belge, c’est lui. De là à parler d’institution… Il sourit: « Permettez-moi de largement relativiser… J’essaie juste de rester dans un élan créatif authentique et de produire des choses qui restent pertinentes par rapport à l’époque. » L’époque, donc, c’est notamment l’Europe, en pleine crise d’identité. Elle est au centre de Charaktersketch. « Pour une fois dans ma vie, je voulais tenter un projet politico-culturel, mettre en perspective l’art et la vie de la cité, de manière peut-être un peu plus explicite que d’ordinaire. »

Sorti il y a quelques semaines, Charaktersketch est centré sur la crise que traverse le continent depuis 2007-2008. Un indice parmi d’autres du sujet évoqué est à trouver dans le titre même de l’album, en allemand -tout comme cinq des neuf compositions: « Parce que l’Allemagne occupe aujourd’hui une position dominante dans l’Union. »

Réalisé avec un ensemble de seize musiciens, le disque consiste en une musique « pensée comme une symphonie, mais réalisée sans orchestre symphonique ». Loin des règles du classique, Wim Mertens intègre ainsi un gong chinois, ou un vibraphone tout droit sorti du jazz, etc. « J’avais d’autres besoins, d’autres accents à trouver, d’autres relations à tisser aussi avec les musiciens. » Des instruments non conventionnels pour une nouvelle répartition des rôles, somme toute. « Dans la musique occidentale de ces 400, 500 dernières années, les fonctions de chaque instrument ont été bien réparties. Tout est séparé, lié à des conventions bien précises. Dans mon travail, j’essaie au contraire de reprendre les choses à zéro, de mettre chaque élément sous la loupe, de voir comme il peut rester pertinent. Sur un morceau comme Überhandnehmend, par exemple, les violons jouent trois rôles à la fois: mélodique, harmonique, et percussif. En quelque sorte, ils font du multitasking, pour reprendre un terme actuel… »

Premier volet d’un triptyque, Charaktersketch sera suivi par le solo What Are We, Locks to Do?, autour de textes de Callimaque de Cyrène, poète grec qui mit au point un système de classement révolutionnaire pour la Bibliothèque d’Alexandrie. Le dernier tableau sera, lui, consacré à la bataille navale d’Actium, en 31 av. JC, qui vit la victoire du futur empereur romain Auguste sur la flotte de Cléopâtre et Marc-Antoine –« C’est à ce moment-là que le destin de l’Europe a basculé du côté de l’empire romain, balayant l’influence arabo-égyptienne. »

Portrait en pointillé

En passant par l’Histoire, l’art, la culture et la musique, Wim Mertens entend ainsi pondre non pas « un essai, mais plutôt une esquisse de l’Europe ». Un portrait en pointillé, où le message n’est jamais explicite. Parce que la musique de Charaktersketch est instrumentale? Pas forcément. D’ailleurs, même dans ces compositions sans paroles, la voix reste l’élément de départ des compositions de Wim Mertens. Elle est l’élément souple, incontrôlable, dans une partition qui serait sinon trop cadenassée. « La musique est une forme d’expression qui peut être extrêmement conservatrice. Spécialement dans la musique classique occidentale, qui s’est fixé des règles très précises. Cela s’est joué ici même, en Franco-Flandres, entre le XIVe et le XVIe siècle, quand on a commencé à noter les polyphonies. Il fallait noter les voix, pour mieux les contrôler, et les hiérarchiser. Alors oui, la musique a une faculté organisatrice, elle amène de l’ordre dans le bruit. Mais elle doit aussi proposer des lignes de fuite, laisser de la place à l’imprévu et à la flexibilité de la voix -qui, in fine, reste un organe, et non un instrument. »

Refuser l’autorité d’une partition écrite à l’avance. Voilà donc le rôle de l’artiste et la culture en Europe? Existe-t-il seulement quelque chose comme une culture européenne? « Il est indéniable que chaque musique est associée à son lieu de naissance. Elle ne peut pas y échapper. Mais ce qu’on en a fait -ses codes, ses standards, son héritage…- ne peut pas être imposé de force à d’autres cultures. On est longtemps restés dans une relation de vainqueur et victime. Il va falloir revoir cette dynamique, et se rapprocher du camp des victimes. Dans l’histoire de l’Occident, l’art a souvent été lié au pouvoir -l’Eglise ou la Cour. Cela a donné des musiques exceptionnelles, mais qui contiennent également des éléments susceptibles de les mener à leur perte. Il est temps de trouver d’autres manières de fonctionner. »

WIM MERTENS, CHARAKTERSKETCH, DISTRIBUÉ PAR WMM/PIAS.

EN CONCERT LE 22/07 AU RIVIERENHOF, À ANVERS, ET LE 25/09 À L’ANCIENNE BELGIQUE, BRUXELLES.

RENCONTRE Laurent Hoebrechts

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