Étoile filante

Roberto Bolaño reçoit enfin un monument à sa gloire: une intégrale dont le premier volume vient de sortir. © BELGAIMAGE

Les éditons de l’Olivier débutent la publication des oeuvres complètes du chilien Roberto Bolaño. Un volume bourré de poésies inédites en français, de nouvelles et de quelques courts romans. L’occasion de se (re)plonger dans l’univers de cet écrivain majeur de la littérature contemporaine.

En attendant des t-shirts à son effigie, des tatouages de ses vers les plus fameux sur quelques épaules décharnées et un culte digne de celui voué à la Beat Generation des Kerouac et Burroughs auxquels on l’a tant comparé, voilà (enfin) un monument à la gloire de Roberto Bolaño! Il prendra la forme étrange de ce premier volume de 1 248 pages, sur lequel on en empilera cinq autres d’ici 2022, mais qu’importe…

Une bonne moitié de ce premier pavé est consacrée à la poésie du chilien. Même si Bolaño est aujourd’hui célébré pour ses romans, avec, en têtes d’affiche, ses fameux Détectives sauvages (1998) et son monstrueux 2666 (2004) -prévus pour les volumes suivants-, il s’est toujours désigné lui-même comme poète avant tout.

On découvre ainsi les poèmes en vers, en prose, anciens ou plus récents, de son Université inconnue. À travers ceux-ci, placés sous le haut patronage de Baudelaire, Rimbaud, les surréalistes, on se retrouve dans l’atelier du maître, et se dessinent alors, sous nos yeux, les contours de cette oeuvre constamment en chantier. De cut-ups à la Burroughs, en sonnets plus narratifs, les poèmes se répondent, parlent aux romans à venir, et on retrouve quelques têtes connues comme Sophie Podolski, la poétesse bruxelloise qui s’incruste dans à peu près toutes les oeuvres du Chilien, ou Arturo Belano (double littéraire de Bolaño) et Ulises Lima, personnages échappés (en avance) des Détectives sauvages. Étoile distante (1996), court et troublant roman, présent dans ce volume, est quant à lui une sorte de spin-off de son recueil La Littérature nazie en Amérique (1996)…

Comme souvent, vie et oeuvre de l’auteur se mêlent et parfois se confondent: « 2 Novembre. J’ai été cordialement invité à faire partie du réalisme viscéral. Évidemment, j’ai accepté. Il n’y a pas eu de cérémonie d’initiation. C’est mieux comme ça. » Dans ce (trépidant) début, celui des Détectives sauvages, Bolaño parodie un mystérieux mouvement artistique auquel même le personnage principal n’est pas certain de comprendre grand-chose, mais qui a véritablement existé: en 1975, à Mexico, Roberto Bolaño et quelques autres poètes latino-américains fondent l’infraréalisme. Dans son manifeste officiel écrit par Bolaño lui-même, ce dernier clame, comme un refrain punk, un cri Dada: « LÂCHEZ TOUT, À NOUVEAU, PARTEZ SUR LES ROUTES. » Dans cet élan teinté de surréalisme et de poésie Beat (décidément), il s’agit encore une fois de tuer le(s) père(s) -en l’occurence les pesantes figures littéraires sud-américaines du passé, comme Pablo Neruda ou Octavio Paz. Craints par le milieu littéraire mexicain, les infraréalistes se feront remarquer par quelques interruptions bruyantes de conférences et de lectures.

Engagé, Roberto Bolaño? C’est au Mexique encore, où il suivra sa famille dès l’âge de quinze ans, qu’il se forgera une conscience politique (à gauche toute). En 1973, retour au Chili. Par un timing des plus hasardeux, pensant soutenir Salvador Allende, il débarque dans sa mère patrie un mois à peine avant le coup d’État du Général Pinochet. Il est arrêté quelques mois plus tard, mais… rebondissement romanesque: il est reconnu par deux anciens camarades de classe devenus policiers qui lui sauvent la mise (la vie?!). Il ne passera que quelques jours en prison.  » Huit, je précise bien, car plus mes livres sont traduits, plus dans la presse ce chiffre augmente« , affirmera-t-il dans une interview pour Libération, un mois à peine avant sa mort. Un épisode décisif que l’on retrouve dans cet épais premier volume et qui, comme la sombre Histoire du Chili, ne cessera de hanter l’oeuvre de Bolaño.

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Culte

Chat échaudé craint l’eau froide, et Roberto ne s’éternise guère. Après quelques excursions politiques sud-américaines, il revient finalement au Mexique. Il y mène une vie de bohème plutôt joyeuse et toujours dédiée à la littérature. En 1977, il gagne l’Europe et, après des détours par la Suède, l’Italie ou la France, se fixe en Espagne, à Barcelone puis Blanes. Il vit de petits boulots qui, eux aussi, fondent sa légende (gardien de camping, vendeur de bijoux, etc.) et écrit la nuit. Il remporte régulièrement des concours de poésie ou de nouvelles, mais « aujourd’hui tous les surréalistes, tous les poètes (ont) des yeux de fonctionnaires », nous dit-il dans La Grande Fosse, poème lui aussi présent dans ce premier tome. Est-ce pour cela qu’en 1994, à 41 ans, ce lecteur invétéré fou de littérature décide de ne se consacrer qu’à l’écriture, et de dorénavant passer des heures studieuses scotché à son bureau? Il abandonne alors la poésie, pour ne plus se vouer qu’à l’écriture de romans, plus rentable. Et quels romans!

Avec Les Détectives sauvages, épopée poétique à la structure libre et expérimentale, cet aficionado de Borges accède doucement au statut d’auteur culte de la littérature sud-américaine, enfin libérée de la génération dite « du Boom » des García Márquez, Cortázar, Vargas Llosa, etc. Ce n’est qu’après sa mort, d’une insuffisance hépatique -il se savait malade depuis 1992-, en 2003, à 50 ans seulement, qu’il atteint la gloire mondiale. 2666, le roman infernal et tentaculaire sur lequel il a travaillé presque jusqu’à sa mort, achèvera de le consacrer comme l’un des auteurs majeurs de notre temps.

On ne saurait trop conseiller de plonger séance tenante dans l’oeuvre monstre de Roberto Bolaño -de vous noyer!- dans ce maelström de poésie donc, de folie, d’humour, de récits érudits où des avions esquissent des versets de la Bible « parce que le latin s’emboîte mieux dans le ciel », de poètes fous et dangereux (ou simplement amoureux), de personnages qui s’attellent à des tâches fastueuses « que personne ne leur avait demandé de faire », de narrateurs confus quant au déroulement exact de l’histoire qu’ils racontent… D’êtres, surtout, tristes et désespérés, mais prêts à tout pour poursuivre leurs rêves utopiques.

OEuvres complètes I, Roberto Bolaño, éditions de l’Olivier, traduit de l’espagnol (Chili) par Robert Amutio et Jean-Marie Saint-Lu, 1248 pages.

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