DÉBUT JANVIER, LES ÉDITIONSBELFOND LANÇAIENT LES DEUX PREMIERS TITRES DE LEUR NOUVELLE COLLECTIONVINTAGE. SA RAISON D’ÊTRE: EXHUMER DES ROMANS OUBLIÉS, AUXQUELS LE TEMPS A COLLÉ LA PATINE DU MYSTÈRE ET DE L’INÉDIT. ATTENTION, OEUVRES À RETARDEMENT.

En 1933, les éditions américaines MacMillan publient le roman d’une inconnue de 30 ans, Caroline Miller. Son livre, Les Saisons et les jours, pur morceau de littérature sudiste, s’engouffre pour plusieurs semaines d’affilée dans le saint des saints des meilleures ventes (lire critique page 39). Flairant le coup commercial, Harold Latham, son éditeur, se met en quête d’autres écrivains « du Sud » à épingler à son catalogue et déloge une jeune auteure prometteuse, Margaret Mitchell, bientôt à la tête de l’empire Autant en emporte le vent (1935). Sous le coup de la concurrence, Les Saisons et les jours, entre-temps (mal) abrégé lors de son exportation en français, disparaît de la circulation pendant près de 80 ans… Avant d’être aujourd’hui exhumé, dépoussiéré et retraduit par les éditions Belfond, brandi comme l’une des deux bannières de leur nouvelle collection, la bien nommée Vintage. Françoise Triffaux, sa directrice: « Tout est parti de la redécouverte de deux livres: Les Saisons et les jours, paru en France en 1935, ainsi que Les Délices de Turquie de Jan Wolkers, publié en 1976. A la lecture de ces deux textes extraordinaires s’est précisée l’idée d’une collection destinée à redonner vie à des textes introuvables, classiques tombés dans l’oubli, romans injustement méconnus ou curiosités littéraires. »

Rendre justice à des oeuvres négligées par le temps: le souci n’est pas nouveau. Certaines maisons en ont depuis longtemps fait leur fonds de commerce. Ainsi, Gérard Berréby, directeur des éditions Allia, ne cache pas avoir composé son catalogue à base de textes tombés dans le domaine public et délaissés par d’autres. La maison Toussaint Louverture a créé ces dernières années de véritables phénomènes d’édition autour de la publication posthume d’écrivains comme Frédéric Exley (Le dernier stade de la soif) ou Steve Tesich (Karoo), tandis que les discrètes éditions du Sonneur, dirigées par Valérie Millet, égrènent leurs redécouvertes en petit format acidulé -inédit de Jack London ou pamphlet d’Edith Wharton en tête.

A fréquenter ces catalogues anachroniques, ces convictions antidatées, on pénètre une autre ligne du temps littéraire. Une sorte de ruban de Möbius, continuum idéal sur lequel il serait possible, pour certains textes mal assortis à leur temps, jugés trop exigeants ou éclipsés par d’autres succès éphémères, de refaire un tour à une époque qui leur serait mieux disposée -d’espérer enfin faire date, en somme.

Itinéraire bis

La démarche reste pourtant contre-nature, qui tourne le dos aux lois d’une société zapping et d’un marché du livre impatient et pléthorique qui impose une durée de vie de quelques semaines à peine en librairie (…). « C’est certes un mouvement à rebours, reconnaît Françoise Triffaux. C’est peut-être aussi une certaine nostalgie d’une époque encore épargnée par la dictature de la nouveauté.. . »

« L’accélération de notre société mène à un rétrécissement de la mémoire, confirme Valérie Millet. Tout s’enchaîne: un événement en chasse un autre, un livre en remplace un autre sur les tables des librairies. Or le temps de la lecture est un temps long. Un ouvrage doit faire son chemin, trouver ses lecteurs, définir sa cartographie. L’amnésie éditoriale est souvent soutenue par des principes commerciaux: il n’est pas rare qu’une grande maison nous cède les droits de traduction d’un récit publié il y a plus de 50 ans parce qu’en vendre quelques centaines par an n’est pas assez rentable pour elle... »

A autre temps éditorial, autre géographie. Loin des autoroutes de l’édition et de la grande consommation littéraire, ces découvreurs pratiquent le chemin de traverse: épluchent les catalogues, fouillent le passé, suivent des pistes, arpentent les bibliothèques, flairent l’inédit. Un vrai travail d’archéologue, soutenu par l’accident et la coïncidence. « Le hasard est un allié, acquiesce Valérie Millet. On a récemment découvert Le Patron de Gorki dans un vide-grenier, grâce à un monsieur qui vendait là une partie de la bibliothèque de son grand-père. C’est un texte qui n’avait pas été réédité depuis les années 20…  »

En ligne de mire, ce fantasme qui tenaille tout éditeur: mettre au jour le roman majeur délaissé, le chef-d’oeuvre injustement oublié au fond d’une malle. Qui fera -édition ou réédition, découverte contemporaine ou authentique exhumation- un écho définitif à ces tourments qui n’en finissent pas d’agiter les lecteurs: « Les préoccupations qui nous animent ne restent-elles pas les mêmes au travers des âges?, reprend Valérie Millet. Jack London, Maxime Gorki, Pierre Loti, Valery Larbaud… n’ont-ils pas en leur temps répondu à certaines des interrogations qui continuent de nous tarauder? Cette continuité, nous y répondons en publiant par ailleurs des ouvrages contemporains. Avec cette idée que les écrivains d’aujourd’hui répondent à ceux d’hier que nous avons choisi de faire revivre. » Un authentique dialogue d’outre-tombe.

TEXTE YSALINE PARISIS

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