Épisode 3: la glacière

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Parmi les grandes obsessions de l’espèce humaine, il y en a une qui, malgré son caractère absurde (ou, peut-être, grâce à lui), a toujours semblé irrésistible: celle qui consiste à siroter une boisson froide au milieu de la plus grande chaleur. Le problème est que la chaleur a tendance à ne pas garder une boisson, quelle qu’elle soit, froide très longtemps. Comment faire pour régler cette délicate question? Un petit malin, resté anonyme, a proposé sa solution en revisitant, à l’âge du plastique et des congés payés, une invention immémoriale, mais d’habitude sédentaire: celle de la glacière. Un contenant plus ou moins hermétique, des blocs de glace ou d’un matériau congelable mais qui ne fond pas, une poignée de transport -et voilà! Désormais, sur tous les bords de mer du monde, il est devenu possible, protégé par son parasol, de jouir des délices d’un liquide bien frais -ou d’autres provisions préparées au préalable. Le désert de sable matraqué par le soleil qu’est la plage peut se transformer en une oasis, d’autant plus délicieuse qu’elle est due à l’industrie de celui ou celle qui l’y a transportée. Plus qu’une oasis portable, même, on peut considérer le frigobox comme une sorte d’espace extraterritorial, de zone géographique étrangère, qu’elle soit celle d’une montagne élevée ou celle d’une région du cercle polaire, déplacée au milieu du cagnard par le miracle de la technologie. En posant sur le sable sa boîte de plastique, le plagiste crée une sorte de court-circuit entre deux écologies, deux milieux, que rien ni personne n’aurait jamais dû connecter. Bien entendu, il s’agit d’un court-circuit temporaire, et, comme pour toutes les créations humaines, voué à la défaite -puisque le soleil, au contraire des blocs refroidisseurs maintenant les denrées au frais à l’intérieur de la glacière, a le temps pour lui. Serait-ce là une métaphore involontaire de l’Anthropocène? Pourquoi pas. À la fin, le soleil reste, le plastique fond -et le plagiste rentre chez lui.

Chaque semaine, le pop philosophe Laurent de Sutter arpente le bord de mer et dissèque les objets indispensables des vacances.

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