Entrez sans coder

Dreams permet aux gamers de créer leur propre univers en les initiant au game design.

Nouveau réseau social de création de jeux vidéo, Dreams ouvre en grand les portes du game design aux béotiens qui n’ont jamais écrit une ligne de code de leur vie. L’écosystème vertigineux s’appuie sur l’intelligence collective du Web pour aligner des cadavres exquis fascinants. Un pas majeur pour la vulgarisation de la création gaming.

L’universalité croissante du jeu vidéo et la légitimation culturelle qu’elle draine sont encore freinés par la complexité de ses outils de création. Certes, des efforts de vulgarisation existent. Il y a trois ans, Art& Public (1) initiait ainsi une poignée d’animateurs culturels au développement de jeux engagés. Ce genre d’initiative reste rare. Proposant de créer, manette en main et sans clavier, des jeux en 3D, Dreams simplifie les choses et brise la barrière technique de la sacro-sainte ligne de code. Ce Game Creation System se présente comme un réseau social de création de jeux vidéo incitant ses membres à l’art du cadavre exquis. Un rêve en ligne, créatif et hyper participatif qui tombe à point pour s’évader de nos murs.

Inhospitalières, les lignes de commandes du MS-DOS ont progressivement basculé vers les fenêtres et les clics intuitifs de Windows (pompés à Apple). Ces derniers ont profondément vulgarisé l’informatique personnelle dans les années 90. Dreams espère recréer ce miracle pour rendre « la création de jeux vidéo aussi accessible et plaisante que l’emploi d’une caméra, d’une guitare ou d’un stylo ». Un fac-similé doué de Super Mario 64, La Nuit étoilée de Van Gogh qu’on explore en 3D, ou encore Comic Sands, jeu de plateforme 2D qui brise le quatrième mur: les centaines de créations amateures qui ont envahi ces derniers mois la bibliothèque en ligne de l’outil de Media Molecule ne se hissent pas à la hauteur de productions classiques, notamment en termes d’animation des personnages, mais elles forcent le respect et cachent un potentiel fou.

 » Nous comparons Dreams à YouTube car il lui emprunte plusieurs mécaniques, souligne Neil Dejyothin, senior producer de Dreams chez Media Molecule. Tous les deux s’articulent en effet comme des réseaux sociaux dont le contenu se regarde, se partage et se modifie aux mains de ses membres. Les commentaires, les likes et les tags de chaque jeu ou élément de jeu participent aussi à cette dynamique. Nous voulons que la communauté réalise assez rapidement des choses a priori impossibles. D’abord avec un outil 3D sans commune mesure. Puis en poussant les créateurs à partager leurs créations en ligne pour qu’elles soient modifiées par d’autres. Ça va d’un simple objet virtuel et à un jeu entier. »

Media Molecule a la pédagogie dans le sang. Douze ans après Little Big Planet sur PlayStation 3, le studio britannique aux airs de prof de game design n’a pas perdu la main. Accompagné d’une voix encourageante, le tutoriel du volet création de Dreams transforme chaque leçon en moment ludique souriant. Premier apprentissage: déplacer des blocs, les redimensionner et les orienter pour élaborer l’ébauche d’un parcours de jeu de plateforme en 3D. Après une longue série d’autres enseignements, la création du personnage suit.  » On a aussi simplifié le travail sur l’animation » , note Jon Eckersley, senior principal artist chez Media Molecule. On peut en créer image par image, mais il est également possible de mouvoir un personnage via un procédé inspiré d’une marionnette pour enfant. »

Entrez sans coder

Une fois ces bases -relativement- simples posées, les choses s’emballent avec les scripts, ces ressorts ludiques déclenchant une foule d’événements dans un jeu. Qu’il s’agisse de faire apparaître une bulle de dialogue à un instant T ou de déclencher un simple chronomètre, on prend rapidement conscience de l’immense tâche qu’est la création d’un jeu de plateforme, même rudimentaire. Dreams a heureusement le chic de proposer une interface composée de sortes de cartes à jouer (les scripts) à relier entre elles.  » Il ne faut pas coder, mais il faudra investir un certain temps avant de maîtriser l’outil, avoue Neil Dejyothin. Celui-ci laisse faire chacun à sa manière, on n’impose pas une vision unique. Par contre, dès que la maîtrise est là, il est possible de construire une petite ville crédible très rapidement, en 20 minutes. »

Aidé par une communauté très active (sur Reddit, Facebook et YouTube), Dreams s’accompagne d’un nombre croissant de réponses bénévoles à une multitude de questions spécifiques. Il n’existe d’ailleurs pas une bonne manière de créer un jeu dans ce moteur. Si bien que sa palette d’outils commence à être détournée de sa fonction première.  » La phase beta de Dreams a déjà vu des créateurs détourner certains de nos outils, souligne Jon Eckersley. Pour obtenir un rendu fidèle de sprite 2D (2) façon Mario 8 bits, un créateur a ainsi assemblé une série de petits cubes 3D plats et fixé l’angle de la caméra. »

Dreams, c’est plus fort que toi

De son logiciel audio très complet à son éditeur de dessins qui propose par exemple de peindre un paysage bucolique en 3D, Dreams donne le vertige. Par où commencer? Tenter de reproduire le gameplay simple d’un Super Mario Bros ou d’un Pong pour ensuite le modifier à sa sauce?  » Ce n’est pas forcément la bonne approche, poursuit Jon Eckersley . À mon sens, il vaut mieux réfléchir à un concept de puzzle game qui reprend par exemple l’idée des blocs de Tetris pour ensuite directement travailler dessus. Dans tous les cas, la règle est de commencer petit, d’éviter de se lancer dans un open world à la GTA par exemple. »

Étonnamment facile à prendre en main grâce à une manette dont la détection de mouvements remplace une souris PC, Dreams ne permettra pas aux débutants de créer un vrai jeu. Mais il a toutefois l’immense mérite de dévoiler les rouages du game design. S’il est loin d’être aussi performant qu’un moteur professionnel comme Unity ou Unreal, son autre vertu réside dans le prototypage très rapide d’une idée qu’il permet. Un processus d’autant plus véloce qu’à ce jour, il regorge d’objets créés par d’autres créateurs. Le gros point fort de Dreams relève d’ailleurs de ses objets et jeux dits  » remixables ». Ou comment réinventer le concept de cadavre exquis à l’heure du jeu vidéo en ligne.  » Ce concept de remix est central, détaille Jon Eckersley . Une table 3D créée par un dessinateur pourra passer de main en main et finir par se transformer en dragon. Des DJ créent de la musique depuis des dizaines d’années sur ce principe, c’est ce qui a inspiré cette approche. » Et Neil Dejyothin de préciser que « certains créateurs se focalisent uniquement sur le dessin d’arbres qu’ils partagent en ligne. Les voir pousser d’un jeu à l’autre les rend heureux, je trouve ça réjouissant. »

Entrez sans coder

Ce Do It Yourself n’a à priori rien de neuf dans le jeu vidéo. Des bumpers et autres rampes de Pinball Construction Set en 1983 aux circuits acrobatiques à assembler de Stunts en 1990, les outils de création adressés aux non codeurs veinent son Histoire. Mais la puissance de l’intelligence collective du Web a récemment redonné un coup de boost au genre. Au-delà de Sparks de Microsoft et de Super Mario Maker 1 & 2 chez Nintendo, PICO-8 tourne, sur PC, comme l’outil de développement indé contemporain le plus spectaculaire du moment ( lire ci-contre). À peine plus performant qu’une NES, ce moteur de jeu ultra minimaliste pour débutants fantasme une console qui n’a jamais existé. Sa résolution d’à peine 64 pixels sur 32 et sa palette de 16 couleurs se dresse comme un défi pour d’innombrables créateurs qui le poussent dans ses derniers retranchements. Si les jeux actuels de Dreams ne flattent donc pas la rétine pour le moment, l’avenir nous réserve sans nul doute le meilleur. Exactement comme un certain Minecraft

À boire et à jouer

Inondé d’une foule de projets sans intérêt, l’énorme catalogue de jeux publiés par les « rêveurs » de Dreams peut heureusement être filtré. Hip-hop, horreur, FPS, clips vidéo, courts métrages… 161 types de tags y coexistent. Parmi les plus beaux jeux, on retiendra notamment Slideout 3019, (un remake dingue de Wipeout), Project Ikelos (un Dark Souls like) ou encore Survive (open world de survie où l’on collecte des ressources naturelles). De Please Hugh Me, une très courte expérience de hug raté (d’actualité), à un Rêve d’Art narrant l’histoire noire d’un contrebassiste, Media Molecule avance bien entendu une poignée de jeux maison aux airs d’élève modèle.

Autre filtre crucial, celui des jeux et objets dits « remixables ». Ruckus, superbe trip kawaii castant un godzilla aux airs de peluche aligne ainsi dans ses crédits une foule de noms ayant chacun apporté leur pierre à l’édifice. Si YouTube rémunère les auteurs de chaînes qui cartonnent, Dreams, quant à lui, ne paie personne. Une démarche qui pose question d’autant que certains jeux cartonnent déjà. Cubric affiche ainsi 41 375 parties jouées tandis que Slayer Scrolls: AN RPG en totalise 93 212.

« Nous sommes parfaitement conscients de l’attente des créateurs les plus populaires à cet égard. Dreams évoluera beaucoup à l’avenir. Nous n’avons pas encore de modèle à ce sujet. Mais on en parle et il y a de grandes chances qu’on aboutisse à quelque chose, conclut Neil Dejyothin. Nous savons ce que c’est car nous sommes nous-mêmes développeurs et nous ne demandons pas mieux que de rémunérer nos créateurs. Mais cela demande toutefois une sérieuse infrastructure. »

Une adaptation qui devra aussi s’accorder au droit d’auteur dans Dreams. Bob L’éponge, Les Simpsons, Sonic, Deadpool et une foule d’autres icônes de la pop culture y caracolent ainsi en tête des classements. Pour sa part, Nintendo vient d’ailleurs de demander à Sony de retirer une création dédiée à Mario sur Dreams. Pas évident de ne vivre que d’amour et de rêve…

(1) Association promulguant la visite de musées notamment via la gratuité.

(2) Animation de pixels dans un jeu vidéo 2D.

Dreams, édité par Sony et développé Media Mollecule, âge: 12+, disponible sur PlayStation 4.

9

Entrez sans coder

X-Wing vs. Tie Fighter: Attack on the Deathstar Frédéric Souchu

Déjà auteur de versions PICO-8 de Flight Simulator et Virtua Racing, Frédéric Souchu fait cracher la 3D sur X-Wing vs. Tie Fighter pour un hommage à la borne d’arcade de 1983. Pas de contrôle de vitesse ni de bouclier ici, mais la fluidité des animations (ces T-Fighters évoluant en formation ) de cette attaque de l’Étoile Noire épate.

Entrez sans coder

Another World: Survival Paul Nicholas

OEuvre culte d’Éric Chahi, Another World épure ici fidèlement les cinématiques du jeu et ses niveaux iconiques. Cet effort de minimalisme s’entoure toutefois d’un gameplay aux tableaux fixes (et d’absence de saut) qui demande de résister à des vagues d’adversaires. Gare aux serpents noirs!

Entrez sans coder

Spaceman8 Tic Tac Toad

Inspiré par Lunar Lander, Spaceman8 gère la gravité physique comme un chef. Le jeu d’arcade envoie dans des cavernes étriquées le joueur portant un jet pack sur son dos. Entre des pierres précieuses aux différentes valeurs et des multiplicateurs de score placés avec sadisme, ce jeu d’adresse scintille.

Entrez sans coder

Celeste Matt Thorson et Noel Berry

Pensé comme un die & retry dans la veine de Super Meat Boy, Celeste a enchanté la planète indé il y a deux ans. Le jeu de plateforme reprend son boost et ses sauts sur mur sur avec un formidable aplomb sur PICO-8. On y collectionne des clefs et des ballons tandis que la chevelure de son héroïne change de couleur. Un détail malin.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content