Enfer et damnation

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Connu surtout comme réalisateur, Melvin Van Peebles est aussi un écrivain talentueux. La preuve avec cette satire sociale féroce et « badass ».

L’Histoire a surtout retenu de la carrière artistique protéiforme de Melvin Van Peebles, né en 1932 à Chicago et toujours de ce monde, le volet cinématographique. Et pour cause, on doit à ce grand prêtre de la sous-culture afro-américaine le long métrage Sweet Sweetback’s Baadasssss Song qui allait allumer dans les années 70 la mèche de la Blaxploitation, ce feu d’artifices de films nerveux, exubérants, engagés, réalisés fièrement par et pour la communauté noire.

Cinéaste donc, mais aussi acteur, scénariste, compositeur, producteur et romancier. Entre autres de cette satire (publiée en 1965 en France et seulement onze ans plus tard aux États-Unis) bottant le cul férocement mais avec une verve contagieuse à la ségrégation raciale. Victime exemplaire de cette injustice permanente qui frappe encore et toujours les Noirs au début du XXe siècle, George Abraham Carver, dit Abe, n’a connu que la misère, la malchance, le délit de faciès et finalement la prison quand il succombe, à 27 ans à peine. C’est Jésus en personne qui l’accueille là-haut. Après une petite hésitation, il décide de l’envoyer en enfer quand  » une femme blanche du Mississippi devenue ange » qui passe par là s’évanouit en voyant cet homme noir. Même dans le ciel, les stéréotypes ont la vie dure…

D’un enfer à l’autre

À sa grande surprise, Abe découvre que dans les limbes le rapport de force est inversé: ce sont les Blancs qui en bavent et les Noirs qui sont les privilégiés. Ces derniers se la coulent douce et peuvent même faire des études. Ou fricoter avec des femmes blanches sous les yeux de leurs anciens bourreaux. En bon manager, le Diable suit un raisonnement implacable: pour châtier au mieux ses pensionnaires, il doit trouver leur point faible. À savoir, pour les Américains,  » leur attitude vis-à-vis des Noirs qui vivent parmi eux -des citoyens de seconde classe au pays de l’égalité. En inversant cette -ahah- « égalité absolue » en faveur des Noirs, nous avons causé aux Américains une souffrance inimaginable« , se réjouit-il.

Enfer et damnation

Cette situation devrait satisfaire le jeune Abe. Mais plus il s’instruit, plus il admire les idéaux de liberté promis par la démocratie, et plus il veut retourner parmi les vivants en pensant qu’avec son bagage intellectuel il pourrait cette fois s’offrir sa parcelle de « rêve américain ». Profitant que le maître des lieux l’a à la bonne, il parvient à se faire réexpédier sur Terre en 1938 avec Dave, un ami blanc tout aussi idéaliste. Le récit quitte alors le registre de la farce burlesque pour épouser les contours d’une chronique sociale rêche et réaliste dans les milieux populaires. L’enfer toujours, mais urbain cette fois-ci. L’un s’en sortira, au prix toutefois d’une solide amnésie, tandis que l’autre, prisonnier de sa condition d’homme noir, continuera à mordre la poussière.

Agilité d’esprit tranchante, lucidité implacable enrobée dans des dialogues crus et jouissifs, Van Peebles dézingue la « démocratie » américaine. L’activiste ne prend toutefois jamais le pas sur l’humaniste farceur. Fidèle à ce credo qui fera florès sur grand écran quelques années plus tard, l’humour sert ici d’antidote au désespoir. Black is beautiful!

Un Américain en enfer

De Melvin Van Peebles, Nouvelles Éditions Wombat, traduit de l’anglais (États-Unis) par Frédéric Brument, 256 pages.

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