AU SORTIR DE LA GUERRE EST DÉCLARÉE, LA CINÉASTE FRANÇAISE A IMAGINÉ UNE COMÉDIE LOUFOQUE DONT LES DEUX PROTAGONISTES SONT LIÉS PAR UN SORTILÈGE MIMÉTIQUE, SE RETROUVANT MALGRÉ EUX MAIN DANS LA MAIN, ET PLUS ENCORE. INTENSÉMENT JUBILATOIRE

Ne dites pas à Valérie Donzelli qu’elle est cinéaste, elle préfère ne rien en savoir. « Je doute vachement de moi, observe-t-elle, en prélude à la conversation qui a pour cadre le bar d’un hôtel bruxellois feutré. Je ne me considère pas du tout comme un metteur en scène: je fais des films parce que c’est une façon d’exprimer quelque chose, et c’est un désir qui est plus fort que tout. Ça me démange, quoi. «  En trois ans, la voilà d’ailleurs qui vient d’aligner, avec la complicité de Jérémie Elkaïm, trois longs métrages qui la posent, ne lui en déplaise, en réalisatrice particulièrement inspirée; sans conteste l’une des voix les plus originales du cinéma français.

Main dans la main, son nouveau film (critique en page 31),renoue, pour partie, avec l’esprit de La reine des pommes, celui qui la révélait en 2009, dont il retrouve la stimulante liberté de ton et une façon de se défier, l’air de rien, des conformismes, qualités qu’il décline en mode loufoque. Le principe à l’oeuvre n’est pas banal, en effet, qui veut que deux individus fort différents, un miroitier de province et une professeur de danse de l’Opéra Garnier -Jérémie Elkaïm et Valérie Lemercier, épatants-, se retrouvent, suite à un baiser fortuit, irrémédiablement unis l’un à l’autre, liés qu’ils sont par un sortilège mimétique d’hilarante facture. « L’idée m’en est venue pendant que j’étalonnais La guerre est déclarée, indique-t-elle. Je voulais parler de la fusion, de l’attachement et de tout ce qui complète ce thème-là: l’impossibilité de se séparer, la rupture, le deuil et puis la naissance de quelque chose d’autre. Et j’ai trouvé rigolo qu’il y ait un événement qui rapproche les deux personnages, les rendant inséparables. Cela m’amusait de jouer vraiment sur le côté magique du cinéma. »

Voilà pour le cadre d’une comédie irrésistible qu’elle explique avoir diligenté pour dissiper ses craintes nées de la sortie de La guerre est déclarée, « un film qui nous impliquait d’autant plus, Jérémie et moi, que c’était une histoire que l’on avait vécue et qui nous exposait très fort à quelque chose de personnel. J’avais peur que le film soit mal reçu ou ne soit pas bien compris. Le seul moyen d’y remédier m’a semblé d’avoir tout de suite un autre projet.  » La guerre est déclarée jouira d’un accueil tonitruant puisque, présenté à la Semaine de la Critique, le film fera le buzz de Cannes en 2011, avant de totaliser 900.000 spectateurs. Impensable, pour ainsi dire, au point que la préparation de Main dans la main s’en trouvera quelque peu chahutée, les attentes se voyant pour leur part multipliées. « On a l’impression de partir avec 50 mètres dans la vue mais de devoir quand même gagner la course », pointe-t-elle, sans faire pour autant la fine bouche: « Tourner des films est tellement difficile: un succès ouvre des portes et facilite les choses. »

A l’assaut de la vie

Un paradoxe veut que, tout en reposant sur un concept on ne peut plus arbitraire, Main dans la main se soit, en définitive, révélé tout autant personnel que le précédent: « J’ai perdu ma mère au moment de la sortie de La guerre est déclarée, à Cannes. C’était un peu particulier et difficile, d’avoir cette reconnaissance et de perdre sa mère au même moment. Main dans la main a été saupoudré en filigrane de ce deuil et de la maladie de ma mère », énonce-t-elle, avant d’évoquer encore un lien très fort de gémellité avec son frère, voisin de celui que le film donne à voir, et jusqu’à la région de Commercy, cadre d’une partie du récit qu’elle a emprunté au décor de son enfance. « Pour moi, c’est une espèce de réunion de quelque chose que j’ai été et de quelque chose que je suis devenue », ajoute-t-elle, avant de glisser: « J’ai toujours fonctionné en partant de moi et en essayant de m’en éloigner pour raconter quelque chose de plus universel. »

De fait, le cinéma de Valérie Donzelli percute joliment, qui donne à partager un rapport au monde et aux êtres particulièrement généreux, ses personnages se retrouvant égaux par-delà les clivages sociaux, devant cette vie à l’assaut de laquelle ils s’aventurent en de surprenantes déclinaisons de la comédie humaine. « Je viens d’un milieu qui est mélangé. Mon père était fils d’immigrés italiens, des sculpteurs et des peintres, des gens très pauvres. Et ma mère vient d’une grande famille de fromagers, les Hutin, ce sont des bourgeois. J’ai été élevée dans cette différence sociale: je connais des gens populaires, et d’autres qui le sont moins. Il y a là un mélange qui m’a toujours intéressée -jusque dans l’injustice que crée depuis toujours le privilège de la naissance et le fait d’être bien né. Je suis contre l’héritage: on ne part pas tous avec les mêmes chances dans la vie. Après, cela peut donner des forces et c’est très bien, mais… Je n’aime pas condamner, en fait. » Partant, les individus qui peuplent ses films sont d’une sincérité absolue –« je suis très attachée au fait que les personnages soient humainement corrects », ne manque-t-elle pas d’insister.

Lui parle-t-on encore de cuisine, ou plutôt de méthode de travail, qu’elle répond: « Quand je prépare les choses, je le fais vraiment dans l’inconscience. » Manière de signifier qu’elle fonctionne de manière privilégiée à l’intuition. Laquelle est, à l’évidence, bonne conseillère, qui l’a vue installer un univers en décalage contrôlé voire même chorégraphié dans le cas présent, où les films empruntent leur titre à des chansons des années 80 –« j’aime beaucoup la chanson française, et j’adore cette période, avec son côté ludique et en même temps mélancolique »-, où New York reste la ville de tous les possibles, et où les relations à deux évoluent suivant un tempo enivrant. Main dans la main, et en toute liberté.

RENCONTRE JEAN-FRANÇOIS PLUIJGERS

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content