JAFAR PANAHI ADRESSE UN PIED-DE-NEZ MAGISTRAL AUX CENSEURS, SIGNANT UN PORTRAIT AIGUISÉ DE LA SOCIÉTÉ IRANIENNE DOUBLÉ D’UN BIJOU D’HUMOUR ET D'(IM)PERTINENCE.

Taxi Téhéran

DE ET AVEC JAFAR PANAHI. 1 H 22. DIST: COMING SOON.

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Attribuant l’Ours d’or de la dernière Berlinale au Taxi Téhéran de Jafar Panahi, Darren Aronofsky avait salué l’acte de résistance du cinéaste persan. Petit bijou d’humour, d’observation et d'(im)pertinence, ce film est en effet une pierre dans le jardin des censeurs de tout poil, un plaidoyer d’autant plus cinglant pour la liberté d’expression que son auteur est interdit de tourner depuis plus de cinq ans maintenant, en plus d’être empêché de quitter le territoire iranien -on a encore en mémoire son fauteuil de juré resté vide pendant toute la durée du festival de Cannes en 2010.

Contre-pied systématique

Ces entraves à sa liberté, le réalisateur du Cercle et de Hors-jeu a pourtant su y puiser un surcroît d’inspiration, signant coup sur coup, en 2011 et 2013, deux films radicaux, Ceci n’est pas un film puis Close Curtain, alors qu’il était assigné à résidence. Nouveau tour de force, Taxi Téhéran le voit en élargir sensiblement le spectre, Panahi s’installant au volant d’un taxi pour sillonner les rues de la capitale iranienne. Un véhicule à bord duquel montent des personnages souvent hauts en couleurs -pickpocket, vendeur de DVD pirates, accidenté de la route se croyant au bord de la mort…- dont le cinéaste filme les conversations à l’aide d’un dispositif aussi minimaliste qu’ingénieux reposant sur trois (mini-)caméras.

Convoquant le monde au sein de l’habitacle exigu, le procédé ne tarde pas à révéler sa richesse. Il permet à Panahi d’esquisser le portrait en creux de la ville, qu’il double de celui, aiguisé, de la société persane. Soit une vue en coupe chargée d’esprit et d’émotion, que le réalisateur relève d’une mise en abîme savoureuse et inspirée de sa situation personnelle, en une sorte d’autofiction où il revisite sa filmographie, de Sang et or au Miroir, non sans se jouer malicieusement des interdits. Ainsi de la scène mémorable où sa nièce, concentré d’insolence enfantine, énonce les diverses règles absurdes édictées par les autorités islamiques en matière de cinéma -cahier des charges dont le film prend le contre-pied systématique, dans un élan lourd de sens (acté encore par l’intervention complice de l’avocate et militante des droits de l’homme Nasrin Sotoudeh) mais aussi d’une drôlerie jamais démentie. OEuvre de contrebande -sa diffusion n’a pas été validée par le ministère de la Culture et de l’orientation islamique, le film étant de ce fait dénué de générique-, Taxi Téhéran est surtout un magnifique moment de cinéma, l’expression, intelligente et enjouée, d’un irréductible appel de liberté. Et si ce DVD ne comporte pas de bonus, qu’à cela ne tienne après tout: le film de Jafar Panahi est suffisamment éloquent, chef-d’oeuvre à voir ou revoir absolument…

JEAN-FRANÇOIS PLUIJGERS

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