Michel Verlinden
Michel Verlinden Journaliste

MAL CONNUE, OBJET D’UNE RÉTROSPECTIVE SALUTAIRE AU JEU DE PAUME, L’oeUVRE D’ERWIN BLUMENFELD SE DÉCOUVRE COMME UNE MACHINE À EXPÉRIMENTATIONS VISUELLES.

Erwin Blumenfeld (1897-1969)

JEU DE PAUME, 1, PLACE DE LA CONCORDE, À 75 008 PARIS. JUSQU’AU 21/01.

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On ne peut découvrir la vie d’Erwin Blumenfeld sans penser à celle de Louis-Ferdinand Céline. Bien sûr le premier est né juif, tandis que le second a chaviré du côté d’un antisémitisme aussi furieux que délirant. Reste que les deux hommes ont vécu grosso modo les mêmes années tragiques -de 1897 à 1969 pour Blumenfeld; de 1894 à 1961 pour Céline- et que leurs oeuvres respectives en ont épousé la fêlure sous des formes différentes. Tout comme le docteur Destouches qui s’est senti d’emblée à l’étroit dans un monde confiné -la « cloche à gaz » du passage Choiseul-, les premières années de Blumenfeld n’ont pas exactement été placées sous le signe de la rigolade. Dans son autobiographie parue aux éditions Textuel, Jadis et Daguerre, le photographe revient ainsi en images sur sa conception: « Le 5 mai 1896, dans les ténèbres de minuit, on me propulsa sans trop de ménagements dans mon premier camp de concentration. Neuf mois durant, au secret, amarré en chien de fusil dans ma cellule de condamné (…). Mon destin: de chambre noire en chambre noire. » La suite? Pas vraiment réjouissante: à 16 ans, il devient soutien de famille, son père ayant été ravagé par la syphilis. Un an plus tard, viennent la guerre et l’armée. Sa position est sans équivalent pour observer les horreurs de ce monde: il devient ambulancier sur le front, côté allemand puisqu’il est né à Berlin. Ramassant plus d’atrocités avec son oeil qu’avec une pelle, il cherche à déserter. Pas de chance, sa mère le dénonce à la police. Le voyage au bout de la nuit ne s’arrête pas en si bon chemin, la Seconde Guerre mondiale ne l’épargne pas non plus, en tant que citoyen allemand en France, il tâte des camps d’internement hexagonaux.

Maître des manipulations

Si les parcours affichent une certaine proximité, les réponses artistiques des deux hommes vont être fondamentalement différentes. Là où Céline est trop content de désigner un coupable à ses malheurs, Erwin Blumenfeld va élaborer une réponse d’un autre type qui consiste à déformer et réinventer cette réalité qui le broie. Cette approche, il la développe très tôt au contact d’un cercle d’amis -Paul Citroen, George Grosz…- qui l’initie aux avant-gardes. La révélation est totale: cubisme, futurisme et dadaïsme bouleversent les portes de sa perception. Tout au long de sa carrière, il n’aura de cesse de multiplier les expérimentations. Solarisations, combinaisons d’images positives-négatives, photomontages, « sandwich » de diapositives couleur, décadrages, gros plans, fragmentation opérée au moyen de miroirs, collages, séchages de négatifs humides au réfrigérateur pour obtenir une cristallisation… Entre ses mains, le réel en prend plein les dents -juste retour des choses. Ces principes le guideront tant dans son travail personnel -le célèbre portrait d’Hitler réalisé en 1933 qui superpose une image de propagande du führer avec la photo d’un crâne humain- que tout au long d’une carrière de photographe de mode qui lui a valu un succès incroyable -Blumenfeld était le photographe le mieux payé de son époque.

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MICHEL VERLINDEN

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