FINI LE LATIN LOVER. SUR THE DANGEROUS RETURN, GABRIEL RIOS FAIT ÉQUIPE AVEC JEFF NEVE ET KOBE PROESMANS POUR UN DISQUE LUXURIANT, D’UN CLASSICISME BOISÉ. DE LA POP D’AVANT LA POP…

A partir de quel moment se rend-on compte que l’on fait fausse route? Et surtout comment en être sûr? Gabriel Rios avait tout ou presque. Le succès en tout cas pour le Portoricain, né dans la capitale San Juan, en 1978. Atterri à Gand au milieu des années 90, il y avait rapidement trouvé le chemin des ondes radio. Surtout du côté flamand, d’accord, mais assez que pour notamment remplir Forest National à lui tout seul. Aujourd’hui, il sort un 3e album studio qui fait le grand saut. Finie la latin pop taillée pour séduire. Avec The Dangerous Return, Gabriel Rios prend la tangente, direction Broadway, les grands espaces orchestraux, faisant du Great American Songbook sa nouvelle Bible, de Gerschwin et Cole Porter ses nouveaux dieux. Cela pourrait sonner rétro, et c’est tout le contraire, disque bluffant d’une classe folle, qui rappelle aussi bien West Side Story que Fantasia. Un grand bol d’air frais, à la fois culotté et instantané, qui commence comme toutes les bonnes histoires par les mots: « Once there was a girl, then met a boy… »

Solo incognito

Pour en arriver là, il a fallu une grande claque: un album enregistré à Los Angeles jeté purement et simplement à la poubelle… « Le genre de truc que vous ne faites qu’une fois dans votre vie », rigole aujourd’hui Rios. « C’était une bonne leçon. Un peu dramatique certes, mais souvent cela se passe comme ça: j’ai besoin de me crasher pour savoir où je ne veux pas aller. »

Des premiers signes de lassitude avaient pourtant déjà pointé auparavant. « Forest National, par exemple, c’était génial, une vraie fête. Mais en même temps, au fond de moi, je me sentais anéanti. Je savais que je ne pourrais plus faire ça. La musique que j’entendais et que j’aimais était toujours bloquée à l’intérieur. «  Une première fois, Rios arrête donc les frais. Il se met à donner des concerts solos – « un sport extrême, il y a ce silence et vous êtes seuls pour arriver à en faire quelque chose ». Il part notamment en Irlande ou en Ecosse, jouant incognito en première partie de Melody Gardot. A ce moment-là, Rios se cherche. Il ne sait pas encore où aller, mais sent qu’il doit quitter les sentiers pop qu’il a balisés depuis 2 albums. L’expérience studio à Los Angeles finit de l’en convaincre. « En soi, cela ne s’est pas mal passé. Mais ce qui en est sorti ne me convenait pas. Je ne m’y retrouvais pas. «  Il décide donc de repartir de zéro. Réaction de son label? « C’est une longue histoire, mais disons qu’à la fin c’est toujours vous qui payez », sourit-il.

Déprimé, il repart donc 2 mois à Puerto Rico. C’est là que l’idée se précise: pourquoi ne pas faire appel à Jeff Neve? Rios et le pianiste jazz à l’enthousiasme communicatif se sont rencontrés quelques années plus tôt lors d’une remise de prix (les Zamus award, les Victoires de la musique flamandes). Ils s’étaient même lancés dans une première tournée à 2, reprenant le répertoire de Rios ainsi que des covers. Au duo vient alors bientôt s’ajouter Kobe Proesmans, le percussionniste prenant place à la batterie. Le triangle est formé. « J’ai écrit la plupart des morceaux, mais c’est la collaboration avec eux qui m’a amené vers ce nouveau monde. « 

Ce monde musical luxuriant -Gabriel Rios cite le souvenir de Krull, film heroic fantasy de série B du début des années 80, dont la B.O. avait été confiée à James Horner ( Titanic, Aliens…)-, il se nourrit d’une écriture classique, à l’ancienne, façon Brill Building. « J’étais fatigué du rock et de tout ce qui tourne autour. Peut-être parce que j’ai grandi là-dedans, il ne me surprend plus. Je connais l’histoire. Paradoxalement, les musiques plus anciennes, d’avant la pop, me semblent plus extrêmes. Elles me font davantage rêver. »

Ce n’est pas seulement une question d’esthétique. Mais d’éthique aussi. « Ecrire des chansons est une expérience étrange, qui demande de l’inspiration mais aussi un certain artisanat. Comme dans ces bureaux de Tin Pan Alley où vous trouviez rassemblés sur le même étage un compositeur, un parolier, un arrangeur… Le concept de la rock star individualiste qui fait sa chanson dans son coin me gave aujourd’hui. Je préfère l’idée d’appartenir à un clan d’artisans. Je ne dis pas: entre Lennon et McCartney, je préférerai toujours Lennon (rires). Mais à la fin de la journée, quand tout le système se sera effondré, ce qui restera, ce sont d’abord les chansons, que vous les jouiez devant 20 ou 5000 personnes. »

C’est donc à 3 que Rios, Neve et Proesman ont construit les chansons de The Dangerous Return, qu’ils ont longtemps testées sur scène avant de les enregistrer. Deux règles de base: « Primo, on s’est promis qu’on n’enregistrerait pas de chansons qu’on ne peut jouer à 3. Secundo, il fallait que les morceaux soient approuvés à l’unanimité. «  Au vu du résultat, la technique a fonctionné à merveille. Ovni complet dans la production pop actuelle, The Dangerous Return navigue entre chanson, jazz et même musique classique, la voix de Rios y croonant à merveille, sans jamais minauder. Il y a 5 mois, le chanteur s’installait à New York, dans un appart de Chinatown. Logique après tout: The Dangerous Return réactive volontiers un certain romantisme en noir et blanc, façon Manhattan, la neige sur l’Hudson River. « J’aime d’ailleurs bien l’idée que le disque sorte vers Noël, c’est une saison qui lui correspond bien. «  Vous savez ce qui vous reste à déposer sous le sapin…

GABRIEL RIOS, THE DANGEROUS RETURN, PIAS.

RENCONTRE LAURENT HOEBRECHTS

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