DES DÉBUTS DU COMICS À L’APPARITION DES ROMANS GRAPHIQUES, WILL EISNER A MARQUÉ DE SON TALENT TOUTE L’HISTOIRE DE LA BD US. LE CENTRE BELGE DE LA BANDE DESSINÉE FAIT L’ÉVÉNEMENT AVEC SA RÉTROSPECTIVE.

S’il n’y avait qu’une exposition BD à aller voir cette année (heureusement, il y en a des dizaines), sans doute ne faudrait-il pas trop chercher. Et ce même si, avouons-le d’emblée, on ne l’a pas encore vue au moment d’écrire ces lignes. Mais le CBBD qui accueille pendant six mois une grande rétrospective riche en originaux du maître Will Eisner, ce ne peut être qu’un événement. Un maître, en effet, pour tout auteur avec un minimum de culture et d’ambitions graphiques, et une référence incontournable aux Etats-Unis -référence qui a d’ailleurs donné son nom au plus prestigieux Award entourant les comics. Will Eisner reste pourtant un relatif inconnu auprès du grand public européen, bien en mal, sans doute, de citer l’un de ses albums. Or, cet homme a presque tout inventé outre-Atlantique, du comics au graphic novel, et de la scène d’action au récit intimiste. Disparu en 2005 à l’âge de 87 ans, ce juif de Brooklyn a publié son premier dessin en 1933, et son dernier après sa mort. C’est dire si l’homme résume à lui seul un siècle de bande dessinée.

En 70 ans de carrière, Will Eisner a eu le temps de vivre trois vies d’auteur. La première, qui lui valut une reconnaissance tardive, surtout en Europe, démarra dans le comics de divertissement, mais déjà, avec des airs de pionnier: Eisner fonda rapidement son propre studio, dans lequel se croisèrent Bob Kane et Jack Kirby. C’est en 1940 qu’il entama les récits du Spirit, lequel se distinguait de la masse tant par sa forme -une narration et des codes graphiques inédits- que par son fond -un super-héros qui tient plus de l’anti, avec un masque pour seul costume, sans super-pouvoirs, très théâtral, plutôt gauche… Rien pour en faire un succès de foule dans l’instant, mais bien une référence 20 ans plus tard: le journal Tintin le publiera en 1973, Angoulême lui offrira son premier prix en 1975. Eisner, lui, était depuis longtemps passé à autre chose.

Nouvelle voie

Pendant un quart de siècle, après avoir jeté le gant des comics en 1952, Will Eisner s’est essentiellement consacré à l’enseignement et à la BD éducative (et lucrative). Mais lorsqu’il publie, en 1978, A Contract With God (Un contrat avec Dieu), il change, à 60 ans, la face même du comics américain, alors coincé entre ses deux extrêmes: super-héros classiques d’un côté, BD underground et trash de l’autre. Eisner, lui, ouvre une voie médiane. Il conserve son élégance de trait et de ton, mais l’emmène vers des histoires plus adultes, affranchies de tous les carcans: des récits intimes, sans héros et sans pagination, sur la vie urbaine de New York, sur la judéité, basés sur les rapports humains, volontiers en noir et blanc, avec une narration éclatée, proche du roman, et de nombreuses références littéraires. D’où ce nom de roman graphique qui perdure aujourd’hui. La rétrospective montée par le CBBD avec l’aide de l’Ambassade des Etats-Unis, riche en dessins, reproductions, planches et originaux rarement prêtés, s’annonce donc à l’image de son sujet: à voir, évidemment.

WILL EISNER, DU SPIRIT AU ROMAN GRAPHIQUE. DU 17/09/13 AU 02/03/14, AU CBBD. 20, RUE DES SABLES À 1000 BRUXELLES. WWW.CBBD.BE

TEXTE Olivier Van Vaerenbergh

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