Laurent Hoebrechts
Laurent Hoebrechts Journaliste musique

AU DÉBUT DES ANNÉES 80, LE PRODUCTEUR ANGLAIS ADRIAN SHERWOOD METTAIT AU POINT SON ARCHITECTURE SONORE, À COUP DE REMIX DUB AVENTUREUX.

Divers

« Sherwood At The Controls » (volume 1: 1979-1984)

DISTRIBUÉ PAR ON-U SOUND/V2.

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La révolution digitale n’a pas touché que les maisons de disques et les artistes. En simplifiant et miniaturisant le processus d’enregistrement, la nouvelle donne technologique a aussi bouleversé le monde des studios. Plus besoin en effet d’investir un lieu à prix d’or pendant des semaines. Un bon disque dur, quelques plug-ins, et il est aujourd’hui possible de sortir des disques de chez soi. Cela étant dit, l’enjeu fondamental, lui, n’a pas évolué: aussi petit et domestique est-il devenu, comment appréhender le moment du studio? Est-il juste un moyen de graver des musiques, de manière « objective », « transparente »? Ou permet-il les manipulations? Depuis longtemps, le studio est ainsi considéré comme un instrument en soi. Voire le mur du son de Phil Spector, les expériences des Beatles avec les ingénieurs d’Abbey Road, ou encore les bidouillages des producteurs de reggae, qui donneront par exemple naissance au dub, cette version spatiale de la musique jamaïcaine.

Le dub, Adrian Sherwood en a fait sa principale obsession. L’homme n’est pas né à Kingston, mais bien du côté du Londres, en 1958. Cela ne l’a pas empêché de devenir une référence en la matière, à coup de remix hypnotiques. Marqué par le punk de ses 20 ans, le patron du label On-U Sound n’a toutefois pas pratiqué que le seul terrain reggae. C’est ce que prouve une récente anthologie revenant sur quelques-uns de ses travaux, parus entre 1979 et 1984.

Peur sur la ville

Dans la forêt de Sherwood, on trouve donc bien ses obsessions caribéennes (le Nuclear Weapon de Prince Far I, Reaching The Bad Man des Singers & Players,…), mais aussi du punk, de l’industriel, du post-punk, etc. La présente compilation s’ouvre ainsi par Hungry, So Angry, morceau séminal de Medium Medium. Issu de Notthingham, le groupe post-punk n’a sorti qu’un seul véritable album, Glitterhouse en 1981, mais reste connu pour avoir été l’un des premiers à ramener dans le rock le son typique de la slap-bass du funk. Le morceau est suivi par le Let It Take You There de Maximum Joy, autre formation british, dont l’attaque ne peut que faire penser à ce que les filles d’ESG concoctaient au même moment, de l’autre côté de l’Atlantique. Les effets dub se font ici davantage sentir, Sherwood multipliant les échos sur les riffs et les coups de caisse claire. Plus loin, les liens entre punk et reggae se font encore plus évidents, notamment via la reprise par les Slits du classique Man Next Door.

Sherwood ne ravale pas systématiquement toute la façade du morceau qu’on lui confie. Sur le Middle Mass qu’il a produit pour The Fall en 81, sa patte est même invisible. C’est cependant quand sa vision dispose d’une vraie marge de manoeuvre qu’elle est forcément la plus étourdissante. Parfois jusqu’à virer dans l’abstraction métallique (Mistah Linn He Dead de Shriekback), voire dans le carrément angoissant, comme quand il tord le Third Gear Kills de la bien nommée Annie Anxiety. Certes, le disque transpire son époque -le début, anxiogène, des années 80. Les expérimentations de Sherwood, son sens de l’espace et des volumes n’en restent pas moins fascinants.

LAURENT HOEBRECHTS

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