Laurent Hoebrechts
Laurent Hoebrechts Journaliste musique

Victime d’une double hémorragie cérébrale en 2005, le chanteur écossais revient avec Losing Sleep, album rock miraculeux.

Ce soir-là, Grace Maxwell se dépêche. Elle a promis de revenir à temps pour le pot-au-feu que son mari s’est échiné à préparer depuis la veille. Passé la porte, cependant, quelque chose cloche. Elle croit sentir une odeur de brûlé. Dans Falling & Laughing: The Restoration of Edwyn Collins, elle raconte la suite:  » J’ai traversé la cuisine et éteint le gaz, en criant ‘Edwyn, les pommes de terre…’ C’est alors qu’est arrivée la peur. » Elle retrouve son mari à l’étage, effondré par terre. Edwyn Collins vient de faire un AVC. A l’hôpital, le scanner localise l’étendue de l’hémorragie cérébrale. Une semaine plus tard, le chanteur en refera une autre, frôlant à nouveau la mort. Au final, Edwyn Collins vivra, mais sera considérablement diminué, rendu notamment aphasique. C’était en 2005.

Cinq ans plus tard, le musicien (Edimbourg, 1959) est un miraculé. Son élocution est toujours accidentée. Il a besoin d’une canne pour marcher et quand il veut vous saluer, il n’arrive à tendre que 2 doigts. Mais Edwyn Collins est vivant. Plus fou encore: il enregistre à nouveau des disques. Losing Sleep n’est pas parfait, la voix de Collins sort encore parfois de la route. Mais on y trouve une urgence, une vitalité rock, un mordant même, que l’on n’attendait pas forcément. Accompagné de sa femme, présence aidante et aimante, Edwyn Collins se déplaçait récemment à Bruxelles pour parler d’un disque auquel ont notamment collaboré Alex Kapranos (Franz Ferdinand), The Drums ou Johnny Marr.

Droit au but

Sa carrière, le chanteur l’a commencée avec Orange Juice, groupe post-punk écossais essentiel. Le grand public aura cependant davantage en tête A Girl Like You, tube en or massif, millésimé 1994. Dans le clip, Edwyn Collins apparaissait alors en parfait crooner rock, classe et arrogant à la fois. Encore affaibli, il n’affiche plus aujourd’hui la même flamboyance, certes. Mais sa voix garde une chaleur et une prestance quasi intacte. Lors de l’interview, il cale ainsi régulièrement sur les mots. Par contre, dès qu’il se met à chanter, le bégayement disparaît complètement.

La manière de composer a évidemment changé. Il a repris la guitare, mais « il faut que la suite d’accords reste simple à retenir », explique Grace Maxwell. Au bout d’une journée promo intensive, Edwyn Collins laisse volontiers sa femme tenir la plupart du temps le crachoir. Elle raconte par exemple que son mari travaille désormais ses mélodies en enregistrant sa voix sur un antique enregistreur à cassette. « Les touches des dictaphones digitaux sont trop petites. Je n’arrive pas à les manipuler correctement. »

Losing Sleep va ainsi à l’essentiel. Une question de nécessité sans doute. Plusieurs fois, Collins explique: « Aujourd’hui, j’aime les chansons directes, limpides. Straight to the point! » Il continue: « Avant mon accident, j’étais un intellectuel. Aujourd’hui, j’ai envie de morceaux rapides, agressifs. Simples en fait. » Pourquoi? « Parce que je suis devenu simplet », se marre-t-il dans un éclat de rire à la Homer Simpson.

En attendant, revenu de nulle part (« Après l’accident, Edwyn n’avait plus aucune idée en tête. Il était vide. », raconte Grace. « Correct », confirme Edwyn), Collins a réussi à pondre un album épatant, entre fulgurances rock ( Do It Again, Losing Sleep, Bored…) et moments poignants, mais jamais larmoyants. Comme quand il conclut avec Searching For The Truth: « I’m searching for the truth. Some sweet day, we’ll get there in the end. And I will always be lucky in my life »

u Edwyn Collins, Losing Sleep, Heavenly Recordings/Coop.

u Grace Maxwell, Falling & Laughing, The Restoration of Edwyn Collins, paru chez Ebury Press.

Laurent Hoebrechts

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