UN PIED DANS LE CINÉMA HOLLYWOODIEN, L’AUTRE DANS LE THÉÂTRE NEW-YORKAIS, EDWARD NORTON TROUVE UN RÔLE SUR MESURE DANS BIRDMAN, D’ALEJANDRO INARRITU, OÙ IL CAMPE L’ACTEUR, AVEC UN GRAND A…

Bien sûr, c’est là avant tout le film de Michael Keaton, qui s’y révèle absolument phénoménal dans le rôle-titre, quelque chose comme Batman renaissant sous nos yeux en Birdman. Mais si le nouvel opus d’Alejandro Inarritu (lire critique page 22) est une incontestable réussite, il le doit aussi à l’ensemble réuni par le réalisateur mexicain à l’ombre de l’ex-super-héros, à savoir les Emma Stone, Naomi Watts, Zach Galifianakis ou autre Edward Norton qui gravitent alentour. Dans le rôle d’un comédien de théâtre appelé à la rescousse d’un projet battant de l’aile, et témoignant en la circonstance d’une arrogance à la mesure de son talent, l’acteur de Moonrise Kingdom régale tout particulièrement, apportant un supplément de piquant à un scénario passant Hollywood et ses films de super-héros à la moulinette de l’intelligentsia new-yorkaise. Du pain bénit pour un Norton dont le parcours s’est décliné de part et d’autre de cette frontière invisible; aussi à l’aise au sein du Signature Theatre où il débuta et continue de s’investir, que sous les traits de The Incredible Hulk, pour Louis Leterrier. « L’ironie sous-tendant le film participait du plaisir, commente-t-il. Birdman joue à plusieurs niveaux, et n’épargne personne tout en témoignant de compassion à l’égard de tout le monde. J’ai trouvé le regard d’Alejandro on ne peut plus avisé. »

Norton côté super-héros

Révélé en 1996 par Primal Fear, qu’allaient suivre Everyone Says I Love You et The People vs. Larry Flynt –on a connu pire comme débuts!-, Norton devait rapidement imposer un profil aiguisé avec les American History X, Fight Club ou autre 25th Hour, sans dédaigner pour autant le cinéma commercial. On le vit ainsi dans Red Dragon ou Kingdom of Heaven, et s’il s’est fait plus rare désormais sur les écrans, l’acteur originaire de Boston peut fort bien enchaîner The Bourne Legacy et The Grand Budapest Hotel, dans une sorte de grand écart dont il semble avoir le secret. Une disposition qui se reflète dans le regard qu’il porte sur l’industrie américaine du cinéma, dominée par les franchises: « J’ai une opinion assez mesurée à ce sujet: les inquiétudes liées au fait que la production commerciale soit en conflit avec l’art ne datent pas d’hier, c’est une dynamique qui alimente des débats depuis des générations. Mais cela n’a pas empêché des gens comme Paul Thomas Anderson, Bennett Miller, Richard Linklater ou Wes Anderson de tourner un film cette année. Un nombre appréciable de bons films continuent à être produits aux Etats-Unis. »

Quant à la place toujours plus significative que prennent les super-héros sur les écrans, Norton n’y voit jamais que le prolongement de celle qu’ils occupent dans l’imaginaire: « J’adorais Hulk, enfant. J’étais l’un de ces gamins pour qui les romans graphiques composaient une part énorme de mon paysage imaginatif. Ils tenaient du mythe à mes yeux. Quand on est enfant, ces héros ont ironiquement l’air fort adultes. Ils n’apparaissent pas humoristiques mais bien fort matures: les femmes sont très sexy, les hommes ont des problèmes sérieux et profonds, et ils agissent dans la psychologie des ados parce que, confrontés à des ennuis, beaucoup de ces personnages ont des super-pouvoirs qui correspondent à ce qu’on souhaiterait à cet âge. Donnent-ils pour autant les meilleurs films? Je ne pense pas, même si certains sont bons, comme ceux de Christopher Nolan. Ce n’est pas pour rien que les réalisateurs s’y frottent, mais bien en raison de leur composante mythologique. Que certains de ces films ne soient pas bons n’invalide pas nécessairement l’intérêt qu’il y ait à les tourner. Si le film d’Alejandro critique ces productions, il n’est pas univoque pour autant et laisse d’autres choses s’exprimer dans les marges, ce que j’apprécie. »

Norton côté théâtre

Birdman porte par ailleurs un regard aiguisé sur un autre univers que connaît bien l’acteur, celui de Broadway. « Je pense que le milieu théâtral new-yorkais va beaucoup aimer. Je n’ai d’ailleurs toujours pas compris comment ces quatre scénaristes ont réussi à cerner à ce point un monde auquel ils n’appartiennent pas. Bien sûr, mon expérience du théâtre m’a aidé, et on a modifié quelques détails afin que tout soit aussi exact que possible. On a veillé, par exemple, à inclure, dans la liste des acteurs ayant foulé les planches, des gens du sérail, comme José Ferrer ou Helen Hayes. Mais Alejandro a su capturer la réalité physique du théâtre, et l’espèce de déconnexion entre la grandeur de la scène et le théâtre lui-même, en particulier les plus anciens, avec leurs loges borgnes et leurs couloirs sinistres. Pour autant, cela restait un tournage de cinéma, et on n’avait pas du tout l’impression de jouer une pièce: la nature de la performance est tout à fait différente. » Et cela, même si Inarritu a veillé à recourir à de longs plans-séquences, démonstration virtuose ayant aussi pour effet d’avoir maintenu la « troupe » mobilisée en permanence: « Cette méthode crée une plus grande cohérence, tout le monde travaille ensemble et retient son souffle jusqu’à la fin de la prise. C’était absolument charmant« .

Refusant d’établir une hiérarchie entre cinéma et théâtre –« Passer de l’un à l’autre est toujours un plaisir. J’ai contribué à ces deux univers en quantité raisonnable »-, Edward Norton s’active par ailleurs sur de nombreux autres terrains, son nom étant notamment associé à des causes sociales et environnementales. « L’un des privilèges et des bénéfices d’une vie créative, c’est qu’on n’est pas tenu à un horaire 9-17. Personnellement, je ne ressens pas de besoin compulsif, ni d’intérêt à travailler tout le temps, et je ne pense d’ailleurs pas avoir l’inspiration nécessaire. Cela me laisse le temps pour m’engager dans d’autres domaines. Trouver l’équilibre entre ces différentes choses est l’affaire d’une vie, il y a des flux, et une chose peut prendre le pas sur l’autre. Il est toujours sain de pouvoir prendre un peu de distance, et ce film ne parle de rien d’autre; il y est question de s’interroger sur ce qui nous définit, et où en remontent les racines, ce genre de choses. Pour qu’un film portant sur les acteurs puisse toucher d’autres gens et se révéler intéressant, il fallait que quiconque ayant jamais éprouvé la sensation terrifiante que sa vie avait dérivé loin de la vision qu’il en avait puisse s’y retrouver. Et cela sans égard pour son activité. La midlife crisis que traverse le personnage joué par Michael n’est pas spécifique à une seule catégorie de personnes… »

RENCONTRE Jean-François Pluijgers, À Venise

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