Écrire pour sauver une vie

De John Edgar Wideman, éditions Gallimard, traduit de l’anglais (États-Unis) par Catherine Richard-Mas, 226 pages.

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La malédiction qui pèse sur la communauté noire aux États-Unis hante l’oeuvre de John Edgar Wideman. C’est à la même veine dénonciatrice qu’appartient son nouveau récit, qui a pour point de départ le souvenir indélébile d’avoir aperçu en 1955 « l’effrayante photo d’un garçon mort presque exactement du même âge que moi, un gamin noir assassiné à Money, dans le Mississippi« . Emmett Till n’avait que quatorze ans. Et le tort d’avoir sifflé une femme blanche. Rapidement arrêtés, ses deux assassins seront tout aussi vite acquittés par un jury de douze hommes blancs malgré des preuves accablantes. Une issue écrite d’avance, tant le racisme est ancré dans les gènes de ce pays superposant à la réalité une fiction de justice aux deux visages. C’est ce que s’attache à démontrer Wideman en enquêtant sur le sort du père d’Emmett, Louis, soldat condamné à mort par un tribunal militaire en 1945 pour des crimes -agression, viol, meurtre- soi-disant commis en Italie un an plus tôt. Deux poids deux mesures. Les évidences bénéficient encore aux accusés d’un côté, les approximations sont coulées dans le béton de la culpabilité de l’autre. « Le moment finira-t-il par arriver où une série de mensonges donnera accès à la vérité?« , s’interroge l’auteur, désabusé, convoquant à la barre les fantômes de sa propre famille pour enfoncer le clou d’un déterminisme social. S’il s’attarde parfois un peu longuement sur les détails à travers des reconstitutions imaginaires, le lyrisme, la gravité et la lucidité du réquisitoire s’épaulent pour remuer chaque centimètre carré de conscience.

L.R.

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