LA PÉRIODE ESTIVALE DEVINT CELLE DES « BLOCKBUSTERS » EN 1975, GRÂCE À SPIELBERG ET À JAWS. POUR HOLLYWOOD, L’ÉTÉ DEVINT AINSI, AVEC NOËL, LA SAISON PRÉFÉRÉE…

Avant était le désert. Un long désert, une saison sèche, et… un manque à gagner frustrant pour l’industrie (américaine) du film. L’été, c’était Gobi en Panavision, la Vallée de la Mort en Technicolor, deux gros mois de chômage ou presque, une zone aveugle où l’on n’osait déverser que les navets les plus blets, les productions les plus calamiteuses, les bobines qui prenaient la poussière sur les étagères des studios faute d’espoir de sortie « normale ». Un homme, et un film, allaient tout changer, voici aujourd’hui 37 ans. Le jeune Steven Spielberg ne tenait pas seulement un succès potentiel avec Jaws, thriller à suspense et grand spectacle centré sur un requin mangeur d’hommes et le trio lancé à sa poursuite. Il pensait aussi qu’il était possible de le sortir au moment même où le public gagnait les plages… sans se douter du danger. Chez Universal, on se dit qu’il y avait en effet, peut-être, quelque chose à tenter avec cette petite bombe cinématographique signée par le « wonder boy » maison.  » Soyons fous!« , s’exclamèrent les dirigeants de la puissante compagnie, le big boss Lew Wasserman en tête, tandis que leurs comptables ouvraient leur bouton de chemise et détachaient leur cravate, pas seulement au vu de la chaleur ambiante, mais en songeant au risque couru en cas d’échec…

D’échec il ne fut pas question. Les critiques adorèrent le film et le firent savoir, les médias donnèrent écho à la bravoure d’une sortie « hors saison » du point de vue cinématographique. Et le seul véritable arbitre -le public- applaudit en masse, formant de longues files pour frémir et s’enthousiasmer. Le coup d’audace d’Universal, sortant le film sur 464 copies (un grand nombre, à l’époque) et l’appuyant d’une grosse campagne de marketing (2,5 millions de dollars), avait été payant. Sorti le 20 juin, Jaws ne mit guère de temps à « cartonner », passant sur 700 écrans fin juillet, et un millier à la mi-août. Deux semaines d’exploitation à peine lui suffirent à rembourser son coût de production! Et il pulvériserait ensuite le record du Godfather de Coppola pour devenir le premier film à dépasser les 100 millions de recettes aux Etats-Unis seulement…

Un phénomène irréversible

La face de l’exploitation cinématographique devait être largement transformée par le triomphe spielbergien. Les autres studios s’engouffrèrent dans la brèche ouverte par Universal et se promirent vite de planter à leur tour leurs graines dans la terre d’un désert soudainement devenu fertile. A l’heure où Jaws le déclencheur nous revient en version restaurée dans un coffret Blu-ray tout ce qu’il y a de plus désirable ( lire page 27), il n’est pas inutile de revenir sur l’histoire d’un phénomène devenu irréversible, comme l’atteste la programmation de nos salles en cet été manquant de soleil… mais pas de blockbusters made in USA!

Mais tout d’abord, qu’est-ce donc qu’un « blockbuster »? Le terme fut initialement utilisé au théâtre, pour qualifier une pièce dont le succès était tel qu’il pourrait conduire les autres théâtres du même quartier à la faillite. Il fut très probablement emprunté au jargon militaire, désignant par « blockbuster » la bombe la plus puissante utilisée par l’armée américaine durant la Seconde Guerre mondiale, un engin capable de détruire un bloc, un quartier entier! L’industrie du cinéma s’en est emparée pour évoquer de très grosses productions, mettant en £uvre d’énormes moyens et promettant d’aussi énormes revenus. Et ce lors d’une sortie précédée d’un déferlement (bombardement?) promotionnel et médiatique s’assurant que personne ne puisse ignorer l’événement.

Si la saison des fêtes de fin d’année reste un point majeur de l’agenda des studios en la matière, l’été est donc lui aussi devenu période faste depuis le triomphe de Jaws voici une petite quarantaine d’années. Il suffit d’observer la programmation, année après année, pour voir se confirmer l’importance de la mise « jouée » par les grandes compagnies en juin, juillet et août. Certains millésimes brillant particulièrement en la matière, jugez du peu! L’été 1979 a, par exemple, vu les sorties estivales d’ Alien, Moonraker et Apocalypse Now, celui de 1980 l’apparition de The Empire Strikes Back, Superman 2, The Blues Brothers et The Shining, et celui de 1982 la parution d’ E.T. The Extra-terrestrial, Blade Runner, Star Trek II: The Wrath Of Khan, Conan The Barbarian, The Thing et The Secret Of Nimh. En 1984, ce furent Ghostbusters, Indiana Jones And The Temple Of Doom, Gremlins, Karate Kid et Never Ending Story, 1985 cumulant Back To The Future, Goonies, Cocoon, Fletch et St Elmo’s Fire, avant que 1986 aligne Top Gun, Aliens, The Fly, Labyrinth et Ferris Bueller’s Day Off. A l’été 1999 vint le tour de The Matrix, The Phantom Menace, Austin Powers: International Man Of Mystery, The Sixth Sense, Eyes Wide Shut et The Iron Giant, 2009 proposant la combinaison de Star Trek, Harry Potter And The Half-Blood Prince, Terminator: Salvation et Inglourious Basterds

Le choix des armes

Même si quelques grands noms de réalisateurs (dont celui de Stanley Kubrick) s’y sont glissés, la simple lecture des titres tout juste évoqués confirme la domination des films de genre. Et particulièrement le fantastique et la science-fiction. Cette dernière étant (re)devenue éminemment fédératrice depuis le pari réussi de Star Wars et -dans la foulée- celui d’une autre saga, Star Trek. Ajoutons-y, un peu plus récemment, la percée de Terminator et la déferlante des super-héros liés au même genre populaire, de Superman à Captain America en passant par Spider-Man, X-Men et Iron Man. Sans oublier le tout récent couronnement du film collectif avec le « carton » de The Avengers, ouvrant aux scénaristes et producteurs en manque d’inspiration d’alléchantes perspectives de combinaisons de plusieurs personnages. Celles opposant vampires et loups-garous (dans les séries Underworld et Twilight) ayant déjà fait leurs preuves tandis qu’était aussi tentée la réunion hostile d’ Aliens et de Predators

Cette décisive orientation SF s’accompagne, en toute logique marchande, d’un goût prononcé pour les suites, remakes et -désormais aussi- « reboots » de tout poil. La qualité la plus prisée par Hollywood étant aujourd’hui, et sans discussion possible, la… franchise. Au sens commercial d’exploitation d’une marque s’entend. Une manière de s’installer dans la durée, en développant au besoin des « spin-off » comme Wolverine, créant une sous-saga dans celle des X-Men. Tout fait farine au moulin, d’autant que la technologie progresse et permet tout à la fois d’enrichir les nouveaux films d’effets spéciaux inédits, et de recycler certains grands anciens en les repassant façon 3D.

Le blockbuster d’été se doit d’assurer le spectacle, et même le grand spectacle. Le potentiel en constante expansion du domaine digital offrant sur ce plan des perspectives quasi inépuisables. Nettement moins épuisables, en tout cas, que les ressources intellectuelles de scénaristes manifestant trop souvent des qualités d’imagination inversement proportionnelles à celles des effets greffés dans l’image. Moins d’idées, plus de CGI, semble être le mot d’ordre de nombreuses productions tablant peut-être sur l’abrutissement progressif d’une partie du public, aux neurones usés par trop d’heures de combat sur console, et qui n’a jamais aperçu de roman que derrière la vitrine d’une librairie.

 » Personne n’a jamais fait faillite en sous-estimant l’intelligence du public américain!« , s’exclamait voici longtemps déjà l’excellent écrivain, journaliste et satiriste H.L. Mencken. L’aphorisme n’a rien perdu de sa pertinence. Au contraire, sans doute! Et il peut être étendu aux audiences non américaines… Ce qui n’empêchera pas nombre d’entre nous d’avouer le plaisir pris à voir certains nanars grande pointure, proposés en été à nos regards peut-être quelque peu adoucis par l’atmosphère des vacances et la régression qui souvent l’accompagne…

Et demain?

L’été 2012 n’est pas encore achevé que les blockbusters potentiels de l’été 2013 sont déjà alignés au départ. Hollywood nous promet, pour dans une douzaine de mois, les films événements suivants: Iron Man 3, Star Trek 2, The Hangover part 3, The Lone Ranger (de Gore Verbinski et avec Johnny Depp, le tandem de Pirates Of The Caribbean), Man Of Steel (un « reboot » de Superman par le réalisateur de 300 Zack Snyder), World War Z (avec Brad Pitt), Monsters University (de chez Pixar), The Wolverine (avec Hugh Jackman, bien sûr), Despicable me 2, Pacific Rim (de Guillermo Del Toro), Grown Ups 2, Turbo (la réponse de Dreamworks à Cars), le remake de Dirty Dancing, The Smurfs 2, celui de Robocop, et peut-être, si elle est achevée à temps, la suite de Sin City, A Dame To Kill For… Sans oublier, last but not least, le Robocalypse de Steven Spielberg, qui marquera le retour du cinéaste à l’univers de la science-fiction qu’il négligeait depuis Minority Report. Trente-huit ans après Jaws, celui qui changea le visage de l’exploitation cinématographique estivale aura l’occasion d’y réaffirmer sa (remarquable) présence… l

TEXTE LOUIS DANVERS

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