Drag Stories

© Melania Avanzato

À New York et sur trois décennies, la culture drag-queen se joue du théâtre du genre et de l’identité. Une ode à la différence.

« Depuis que je vis à New York, j’aime bien m’endormir dans les baignoires. En particulier celles des noceurs de Downtown et des beaux garçons qui ressemblent à Prince. Moi, je viens d’Atlanta et je vis à Manhattan depuis 1980. «  Face au miroir, James s’efface. Avec des coussins éponge, il invente hanches, fessiers, décolleté. Au début des années sida, James est Lady Prudence, une des plus belles drag-queens de New York. Regard jungle de Naomi Campbell, sourire acier de Grace Jones et chevelure tempête de Diana Ross, sa peau est noire comme le soir, dure à cuire, dentelle quand il faut. Dans ses shows, il y a les sourires de diva, les tenues à scandale, mais aussi son père qui l’a réduit en miettes trois cent mille fois. Dans le circuit drag, Lady rencontre Angie, mère de Maison. On a tous besoin d’une maman. Sur scène, Lady réveille les gens. Dans la coulisse, « les mecs nous paient tous au lance-pierre. Nous sommes drags, nous sommes gay, ça vaut peanuts. » Trente ans plus tard. Victor a grandi à Los Angeles. Premier vol à la tire à douze piges, il écoute Kanye West en boucle et fête ses 23 balais dans une cellule. Aujourd’hui père de famille, il achète sa première robe sur Internet et Lady Prudence devient son mentor.

Drag Stories

Strike a pose!

Au Studio 54, au CBGB, au Paradise Garage, Julien Dufresne-Lamy sabre les portraits comme des bouteilles de champagne.  » Vous pensez que l’on remue des fesses pour faire les belles? On déplace les structures, nous. On combat. »Cross-dressers, travestis, drags et transgenres étranglent les carcans normatifs de l’identité. La différence, c’est le corps. Ce qu’il te dit, tout au fond. Entre paillettes et émotions à fleur de peau, le roman n’a jamais sa langue dans sa poche: comment survivre dans la pauvreté, le racisme et la mort? On y dort le jour, le soir on s’ouvre. En combishort lycra et blouson satin s’entre-croisent des amitiés miraculeuses, des adversaires, des gueules d’amour. « Un virus qui trie ses victimes? Allons donc. (…) Le cancer gay? Appelons ça la « maladie de l’amour » parce que ça pleut sur ma parade, dirait Judy Garland. » Avec ses montées et ses descentes, sur un tempo de house music, un roman pomme d’amour qui chante les différences, dissout le vernis rouge dans un grand verre de vodka. Le succès, l’érosion, les déboires, les au revoir, « on s’essouffle après les trente-cinq piges, ça part en sucreries ». L’important, c’est de savoir manier le faux et rentrer en métro sans se faire trucider. « Les voix s’élèvent depuis la salle. Ça pulse en elle comme du cristal. Lady grimpe la dernière marche et sous les lumières, j’apparais tout entière. » La devise: tu es vue, tu es venue, tu vaincras.

Jolis jolis monstres

De Julien Dufresne-Lamy, éditions Belfond, 416 pages.

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