ALORS QUE DES « PUNKS » ATTEINTS D’AUTISME ET DE TRISOMIE 21 S’APPRÊTENT À REPRÉSENTER LA FINLANDE À L’EUROVISION, LES HANDICAPÉS MENTAUXBELGES DU WILD CLASSICAL MUSIC ENSEMBLE BLUFFENT AVEC UN DEUXIÈME ALBUM AU ROCK EXPÉRIMENTAL ET LIBÉRATEUR.

« C’est cool. On dirait la pochette du Rubber Soul des Beatles. »

Dans leur QG à la façade vitrée planté au bord de l’eau dans le centre de Courtrai, Kim regarde à même l’appareil photo, avec un sourire jusqu’aux oreilles, défiler les clichés fraîchement tirés. Quand il n’est pas en train de dessiner ou de peindre des rock stars et des pochettes de vieux disques, Kim, 28 ans, déficient mental, tient la guitare du Wild Classical Music Ensemble. Groupe de rock expérimental dirigé par le musicien Damien Magnette qui sort ces jours-ci son deuxième album Tapping is Clapping sur le label Humpty Dumpty (04/05), et l’écurie parisienne Born Bad Records pour la version vinyle (18/04).

« Ça, c’est de la gomme. Merci à tous d’être venus. » Avec ses lunettes de soleil et son look de frère Gallagher, Sébastien se met en condition dans la petite salle de répète aménagée au fond de la cour. Rudy, fan d’Edith Piaf et d’Elvis, souffle à l’envers dans sa trompette. Linh manie son bâton de pluie. Tandis que Johan abandonne son mélodica et regarde sur son ingénieuse petite plaquette de quoi il joue sur le morceau suivant. « J’ai mis des années avant de penser à ce système, avoue Damien (Zoft, Facteur Cheval) qui leur sert de chef d’orchestre. Avant, un bénévole nous aidait pour les changements d’instruments mais ça m’emmerdait profondément. Aujourd’hui, tout le monde se gère avec un oeil sur l’autre. Nous sommes devenus totalement autonomes sur scène.  »

Flash-back. Le Wild Classical Music Ensemble voit le jour en novembre 2007. Quand le batteur et créateur d’art sonore, qui a constaté lors d’un atelier d’arts plastiques le don pour l’improvisation de certains participants, se décide à monter un projet de musique expérimentale avec des handicapés mentaux et prend contact avec Luc Vandierendonck et son asbl Wit. h, plateforme d’accompagnement pour les créateurs atteints de déficience intellectuelle. « Au début, nous baignions dans l’impro libre, se souvient Damien. Je ne jouais pas dans le groupe d’ailleurs. Puis Kim est arrivé avec sa guitare et sa culture rock et tout s’est mis en place. » « C’est Linh qui a trouvé le nom du projet. Mais elle ne sait plus le prononcer maintenant. Elle ne sait le dire qu’en néerlandais« , s’amuse ce dernier.

Après un premier album rapidement enregistré à Vielsalm, au Centre d’Expression et de Créativité La Hesse (disque sorti sur le label Subrosa dans la série Musics in the Margin), Sébastien a rejoint les rangs. « Je lui ai fabriqué un instrument percussif qui a un son de basse. Mais sinon, j’ai juste légèrement arrangé l’un ou l’autre truc pour rendre les concerts plus pratiques, explique Damien. Avant, Kim et moi tenions la base mélodico-rythmique mais elle était fragile. Séba a renforcé l’aspect rock du projet. En plus, c’est un vrai showman. »

Art outsider?

Loin du simple atelier éducativo-occupationnel (avec tout le respect qu’on lui doit), le Wild Classical Music Ensemble s’inscrit dans une démarche créatrice forte. Il évite soigneusement les reprises et les chemins balisés de la facilité pour se promener aux frontières du rock, des musiques improvisées et du free jazz avec un esprit punk chevillé au corps. Tapping is Clapping a été enregistré en dix jours au studio gantois Yellow Tape avec Peter Van De Veire. C’était il y a pratiquement deux ans déjà. « Nous avons notre dynamique de travail, résume Damien. Kim et Séba arrivent généralement avec un riff et on construit là-dessus tous ensemble. Je vois ce qui va le mieux coller avec les voix et les instruments à vent. Puis on improvise. Je donne quelques indications: chuchotements, rap en français… Et je peux diriger l’énergie globale des morceaux depuis la batterie. Mais ça reste très free style. »

Terre à terre, il évite soigneusement toute prétention médicale. « Pour moi, la musique, l’art, l’expression créatrice sont par essence thérapeutiques. On s’y adonne parce qu’on en a envie, parce que ça nous fait du bien. Je ne veux pas labelliser, intellectualiser nos pratiques. Alors, c’est vrai, dans le cas d’autistes, la musique peut débloquer la communication. Remplacer la parole. Mais nous ne sommes pas dans cette démarche du tout. Je ne suis pas animateur. Je suis musicien. Et si on fait partie du Wild Classical, c’est parce qu’on aime jouer ensemble. »

Avec un objectif sous-jacent tout de même: le décloisonnement, l’abattage des frontières et des préjugés. Le sextet, qui a déjà collaboré avec un ensemble de musique classique (le Spectra Ensemble) et a récemment enregistré avec le big band anversois Capsule pour un projet avec la compagnie théâtrale Abattoir fermé, est plus proche des festivals de musique expé que de la fête des solidarités…

« On refuse généralement d’aller jouer en institution. Je trouve ça con. Proposez autre chose. C’est comme si tu n’envoyais que des groupes de Blacks au centre de réfugiés du Petit Château. » Le Wild Classical a dans un premier temps suscité l’intérêt du milieu de l’impro et de la scène expérimentale. Il sort un petit peu aujourd’hui de ce carcan et s’ouvre à un public plus large. « Pour moi, un concert est réussi si le public vient leur causer à eux et pas à moi. On a vécu des scènes surréalistes. Certains dans le groupe ne parlent pas français. D’autres pas néerlandais. Un troisième a des problèmes d’élocution. Des gens les félicitent parfois pendant cinq minutes sans réaliser qu’ils n’en comprennent pas un traître mot. Mais je peux vous assurer que le sens passe quand même. »

Sagement, intelligemment, Damien coupe l’herbe sous le pied aux raccourcis et questionnements pourtant inévitables. « Beaucoup de gens se demandent s’ils aiment vraiment la musique ou s’ils l’aiment parce qu’elle est faite par des personnes handicapées. J’ai envie de dire qu’on s’en fout. De nombreux mythes de la musique étaient des agités du bocal. Quand on parle d’art brut, d’art outsider, on se met un peu à cloisonner ce qui ne doit pas l’être même si on veut bien faire… Si tu te penches attentivement sur l’Histoire de la musique et de l’art en général, tu réalises que de nombreuses personnalités qui l’ont marquée souffraient de troubles divers. Van Gogh a été Van Gogh parce qu’il était schizophrène. Eh bien, les membre du Wild Classical ont des personnalités fortes et atypiques dues au fait qu’ils sont handicapés mentaux. » Ou quand le handicap devient une force en matière de création. « C’est un peu cliché mais ils ont un niveau de spontanéité complètement dingue. Quand Linh et Rudy hurlent, ils hurlent vraiment. Ils n’ont pas suivi un stage de chant crié… D’ailleurs après une répète, ils n’ont pratiquement plus de voix…  »

Les grandes manoeuvres

Le plus compliqué dans cette grande aventure humaine et culturelle qui bouscule les idées reçues, c’est finalement l’organisation. Si tous les membres du groupe habitent avec leurs parents dans les alentours de Courtrai à l’exception de Sébastien qui vit dans une institution pour personnes aveugles à Ghlin, les concerts demandent une attention toute particulière. « Nous nous sommes au début cassé les dents sur des conditions trop roots pour nous. Nous nous sommes notamment produits dans des squats. C’était mon réseau et c’est celui vers lequel je me suis naturellement dirigé comme je l’aurais fait avec un autre projet. Mais nous avons dû cadrer. Nous nous sommes depuis fixé un standard en termes de conditions d’accueil. Il nous fallait un contexte plus facilement gérable. A l’heure actuelle, nous demandons 1000 euros, les frais de déplacement et l’hôtel. Il faut que les chambres soient toutes au même étage. Puis équipées de douches et de toilettes individuelles pour faciliter la tâche des accompagnants. Généralement, on voyage avec un ingé son, un éducateur référent et un bénévole. On commence à être rodés… » Damien doit aussi faire en sorte que le groupe ne se produise pas trop tard. 20 h 30 max. « Certains ont pour habitude d’aller se coucher vers 8 ou 9 h. Après, ils sont vite KO. Comme nous jouerons en tête d’affiche aux Nuits Botanique, on s’est arrangés pour pouvoir loger juste à côté. »

Le Wild Classical, qui a tourné le clip de The Wind en compagnie de Carl Roosens (Carl et les hommes-boîtes), participant au processus créatif à travers des ateliers peintures et dessins animés, a déjà joué en France, en Allemagne, en Espagne… Le 23 mai, il se produira à Paris au hautement recommandable festival Villette Sonique. « Pendant nos concerts, je ne sais pas pourquoi mais je me sens bien, s’emballe Sébastien qui avoue avoir dû surmonter sa peur de l’avion. J’ai notamment beaucoup aimé Berlin. Mais le chauffeur, qui ne m’avait pas vu, a refermé sur moi les portes du tram. »

Kim, qui a appris l’anglais grâce à la musique et aux Beatles, et pourrait vous parler pendant des heures de John Fogerty, REM et Steve Earle gardera lui toujours un faible pour le Festival Densités. « Je me suis déshabillé. Tout le monde frappait dans les mains, s’amusait et semblait heureux. Un truc de dingue. » Petite histoire d’une folie pas ordinaire…

TAPPING IS CLAPPING, DISTRIBUÉ PAR HUMPTY DUMPTY.

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RELEASE PARTY LE 09/05 AUX NUITS BOTANIQUE.

RENCONTRE Julien Broquet

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