Faire durer le plaisir… Les cinéastes prennent l’expression au pied de la lettre ces temps-ci. Les films de 90 minutes, qui servaient pourtant d’étalon dans le passé, se font aussi rares qu’une éclaircie dans les finances grecques. Et laissent même un goût de trop peu dorénavant. C’est qu’entretemps, on a pris l’habitude de flirter avec les 120 minutes bien tassées (148 même pour Shutter island de Martin Scorsese). Une durée élastique réservée hier aux péplums ( Le Colosse de Rhodes de Sergio Leone taquinait les 130 minutes en 1961), aux films expérimentaux (dont celui de John Timmis, The Cure for Insomnia, qui s’étire sur… 87 h, record dûment validé par le Guiness Book) et aux chevauchées de quelques marathoniens hors pair comme George Lucas, Stanley Kubrick ou Fellini (près de 3 h, réduits à un souffle il est vrai par la magie du chef italien, pour La Dolce Vita). Adeptes du demi-fond (90 minutes à un rythme effréné quand même), les frères Dardenne ou le duo Kervern-Delépine feraient presque figure de fainéants dans cette course à la longueur. La cuvée 2010 du Festival de Cannes en rajoute d’ailleurs une couche. Sur les 18 longs -et parfois très longs- métrages en compétition, une poignée seulement tient la bride en dessous d’1 h 40. Dans le même temps, 8 candidats à la palme s’en paient une tranche de 2 bonnes heures. Autant dire que si l’émotion, le dépaysement et le plaisir fondant ne sont pas au rendez-vous, il faudra prendre son mal en patience. Ou directement la porte… Qu’est-ce qui pousse ainsi les réalisateurs à rallonger la sauce? On ne peut qu’avancer quelques hypothèses non testées en laboratoire. En vrac: l’influence du format XXL des séries télé, l’idée -plutôt snob- que pour être artistiquement crédible il faut obligatoirement faire long (et chiant?), la difficulté à rendre compte sous une forme ramassée d’un monde toujours plus complexe. En cherchant bien, on pourrait aussi y voir l’empreinte d’une certaine esthétique languide typiquement asiatique (le cinéma coréen a la cote) ou encore, plus prosaïquement, la conséquence de la réduction des coûts de fabrication depuis l’avènement du digital. A moins que ce ne soit juste un calcul pour augmenter ses chances de rafler la mise sur la Croisette. Il ne faut pas un crack en math pour s’apercevoir que le jury cannois couronne souvent des £uvres fleuves (les 3 dernières Palmes d’or dépassaient les 2h). D’où cette question: le plaisir se dilate-t-il avec le temps? Oui ( The Deer Hunter de Michael Cimino, Mr Nobody de Jaco Van Dor-mael…) mais non ( Le Choc des Titans, 2012, Avatar… ). L’équation est séduisante mais elle ne tient pas. Cette boulimie, que l’on peut observer aussi dans le théâtre (7 h pour le dernier spectacle de Jacques Delcuvellerie) et surtout dans la littérature où les briques défient la meilleure volon-té des lecteurs compulsifs, est une manière de contrer le sort, de faire barrage à la culture zapping, à la paresse intellectuelle et à la pensée sous cellophane. Rien que pour ça, on leur pardonnera de parfois tirer en longueur. l

Par Laurent Raphaël

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