LE 27 MAI À L’AB EN PREMIÈRE PARTIE DES MANIC STREET PREACHERS, LES ANGLAIS DE PUBLIC SERVICE BROADCASTING SAMPLENT DES VIEUX PROGRAMMES D’INFORMATIONS, DES DOCUMENTAIRES ET DES ÉMISSIONS DE PROPAGANDE POUR CONCOCTER UNE MUSIQUE HYPNOTIQUE ET UNIQUE.

Inform, educate, entertain. Informer, éduquer, divertir. En trois mots, le titre du premier album de Public Service Broadcasting résume plutôt bien le programme et la démarche de J. Willgoose, Esq. et de son complice Wrigglesworth. Découverts début 2013 lors du festival de professionnels Eurosonic au milieu d’un imposant dispositif scénique peuplé d’un écran géant et de téléviseurs vintage, pour certains en première partie des Girls in Hawaii à l’Ancienne Belgique en novembre dernier, les deux Anglais créent une musique organique et électronique à grand renfort de samples qui n’est pas sans rappeler celle de The Books. Les Books puisaient dans des cassettes d’hypnothérapie et d’auto-soin, des manuels de méditation et leurs propres field recordings. Les Public Service Broadcasting fouillent dans les archives de la BBC et d’ailleurs. Les vieux programmes d’informations, les documentaires et les émissions de propagande.

Basé sur un docu de 80 minutes réalisé en 1953 par George Lowe, Everest raconte la première expédition à avoir dominé le plus haut sommet du monde. Là où Spitfire relate l’histoire de l’inventeur britannique RJ Mitchell, dessinateur du chasseur monoplace qui aida la Royal Air force à remporter la bataille d’Angleterre en 1940. Le tout avec des images et des paroles de The First of the Few. Film de 1942, de et avec Leslie Howard.

Ambitieux, malin, spectaculaire, dansant aussi, Public Service Broadcasting veut enseigner les leçons du passé à travers la musique du futur. « C’est plus compliqué que d’écrire une chanson façon « Oh, I love you baby. You’re my woman », rigole sans prétention Willgoose dans un jardin venteux d’Austin pendant South by Southwest. Everest, par exemple, m’a pris trois mois. Et encore, il s’agissait d’un accouchement relativement facile et rapide. Quand j’ai entendu la phrase « Two very small men, cutting steps in the roof of the world », je me suis tout de suite dit que je pouvais en faire un bon morceau. »

Willgoose n’a pas étudié l’Histoire. Juste un peu le cinéma à l’université. Diplômé en anglais, il joue dorénavant avec la poésie de l’information. « Parce que oui, on peut trouver de la poésie dans les news. C’était plus évident par le passé qu’aujourd’hui. Les journalistes n’étaient pas nécessairement meilleurs mais ils avaient plus de temps et de ressources. Maintenant, l’info est souvent superficielle. Factuelle, sans analyse, elle doit juste nous arriver en flux continu. Encore aujourd’hui, des mecs morts comme Ed Murrow, Walter Cronkite (qui fut considéré comme le plus représentatif de l’opinion américaine, « si j’ai perdu Cronkite, j’ai perdu l’Amérique« , aurait dit Lyndon Johnson pendant la guerre du Vietnam, ndlr), pas mal de personnalités américaines de la radio et de la télévision, peut-être un David Frost en Angleterre, méritent qu’on s’y intéresse. »

News addict, J. Willgoose? Pas vraiment. « C’est compliqué quand tu es en tournée. A fortiori si tu n’as pas de vraie connexion Internet sur ton téléphone. Je veux être conscient de ce qui se passe mais pas de tout. Sinon, ça me déprime et je m’inquiète tout le temps. D’ailleurs, je ne passe pas tant d’heures que ça devant la télé. Deux maximum par jour quand je suis à la maison. »

Mort à Dunkerque

Cerveau de Public Service Broadcasting, Willgoose ne cultive guère une passion « diner de conesque » pour les documentaires des années 40. Son projet naît presque par hasard en 2008 alors qu’il planche sur un mini-hommage à DJ Shadow, son Dieu du sample. « J’ai eu vent de la mise à disposition de séquences d’archives par le British Film Institute. Je me suis mis à fouiller. Puis à jouer. Les idées se mariaient bien. Mes potes ont aimé. Et j’ai élargi le concept. En quête d’amusement avant tout, je trouvais que c’était une forme intéressante de création.  »

Il dit rencontrer son fidèle acolyte Wrigglesworth en 2010 à la piscine. Ou bien est-ce dans un cours de fabrication de mobilier? « Je m’étais fait attaquer par une écharde et il a réussi à la sortir à mains nues, commente ce dernier. Je ne sais pas comment on a fini par parler musique mais c’est ce qui est arrivé. » « Tu as vraiment des mains de vieux alors je t’ai demandé ce que tu faisais et tu m’as dit que tu étais batteur. » « C’est difficile de travailler avec lui. Il me considère comme un esclave. Sinon, ça va. »

Batteries, guitares, banjos, sons électroniques… Willgoose n’exclut pas l’arrivée d’un troisième membre quand les finances le permettront. Public Service Broadcasting s’est lancé grâce au succès de The War Room, un EP dédicacé à son grand-oncle dont il avait hérité du banjolele. « Son nom et son adresse étaient écrits dessus. Ce jeune homme est parti à la guerre et est mort à Dunkerque à 26 ans. Ça m’a fait réaliser ô combien notre génération était chanceuse. Quand je me suis mis à bosser sur un truc autour de la Seconde Guerre mondiale, utilisant son instrument, je me suis dit qu’il était logique de le lui dédier. Pas parce que je le considère comme un héros. Il était sans doute un type ordinaire et effrayé j’imagine. Mais ça donnait au projet une résonance toute personnelle et signifiait beaucoup pour ma famille. »

Domaine public

Oubliez la vision romantique de J. Willgoose, Esq en train de se mater des vidéos dans des vieux bâtiments défraîchis et d’arpenter des couloirs sombres tapissés de bobines poussiéreuses. « C’est arrivé une fois ou deux. Mais tant mieux pour moi, tant pis pour la romance, je trouve la plupart des séquences sur Internet. Les films américains sont très faciles à dégoter. » A fortiori si tu sais où chercher. « Ce n’est pas un secret. Je fouille dans une petite sous-section des principales archives nationales américaines. Une source d’information incroyable. » En Angleterre, les choses sont un petit peu plus compliquées mais PSB entretient une relation étroite avec le British Film Institute qui possède d’impressionnantes archives. « Ils sont très ouverts. Je peux leur demander s’ils n’ont pas des séquences sur tel ou tel sujet et ils m’envoient un DVD. On doit payer pour ce qu’on utilise mais pas certains montants qu’ils chargent aux sociétés commerciales. »

Pas mal de documents ne sont pas sous copyright. Tout ce qui date d’avant 1956 au Royaume-Uni déjà. Aux USA, la plupart des séquences sont dans le domaine public et donc libres de droits. « Le BFI, c’est plus compliqué. Théoriquement, il est assez cher mais on a trouvé un arrangement. On utilise des choses qui moisiraient dans ses archives. Comme on en parle pendant nos interviews, ça lui fait de la publicité et lui confère l’image d’une organisation plutôt dynamique. Si on était tarifé au taux commercial, on devrait environ débourser 500 livres par cinq secondes. On ne peut pas se le permettre. »

Post-modernisme

Passe-partout, Public Service Broadcasting joue en Angleterre dans des salles de concert, des écoles, des musées, des festivals… « Le premier album a fait l’objet d’un DVD mais la musique marche sans les vidéos. Si ça se passe plutôt bien en Grande-Bretagne, c’est parce qu’on a beaucoup tourné mais aussi parce qu’on est diffusés en radio. La musique doit toujours rester notre préoccupation principale. Si ce n’est pas le cas, nous risquons de nous mettre nous-mêmes en difficulté. »

Puisant allègrement et ouvertement dans le passé pour mieux le recomposer, Public Service Broadcasting a souvent, à tort, été qualifié de nostalgique. « Je ne regarde pas simplement derrière moi. Je me promène dans l’hier pour le ramener aujourd’hui. On ne joue d’ailleurs pas de la musique passéiste. Alors évidemment, il y a de la nostalgie. Surtout pour tous ces gens qui ont connu et se souviennent des vidéos originelles. Mais on les combine avec les nouvelles technologies. J’aurais tendance à nous qualifier de post-modernes.  »

Certains reprochent aussi à PSB des limites auxquelles ils l’imaginent rapidement se confronter. « Je ne sais pas si ces gens manquent d’imagination ou s’ils ne comprennent tout simplement pas ce que nous faisons« , déplore Willgoose.

L’an dernier, Public Service Broadcasting a travaillé sur commande. En avril, alors qu’il se produit à Rotterdam, le duo est approché par deux organisateurs du festival Explore the North, à Leeuwarden, aux Pays-Bas. « Ils avaient des images du Elfstedentocht, la plus grande course de patins à glace du monde. Et ils nous ont demandé si ça nous intéressait d’écrire quelques chansons sur le sujet et de jouer à leur festival. Je n’y connaissais rien. Ça m’a excité. »

Sa méthode de travail? « J’essaie de trouver dans ces documentaires originaux des choses qui me parlent et je les décline en musique. Ensuite, je mélange le tout. Bref, je prends du vieux pour créer du neuf. Ça peut être drôle, poignant. Avec Elfstedentocht, par exemple, j’ai voulu un premier morceau rapide et lourd pour refléter sa nature grondante et ses conditions éprouvantes. Et un deuxième plus ambient où j’ai essayé de sonner comme l’hiver. »

Le tandem serait prêt à renouveler l’expérience. « On est souvent sollicités. Mais les gens n’ont pas les droits, ne savent pas qui les détient et combien ils coûtent. Il y a aussi forcément une question de temps. »

Willgoose et Wrigglesworth possédaient déjà il y a deux mois sept ou huit démos. Ils espèrent sortir un disque d’ici la fin de l’année. Un disque qui tournera autour d’un sujet encore tenu secret. « Comme il s’annonce très historique, j’ai fait plus de recherches que jamais. J’ai lu cinq ou six bouquins et regardé des tonnes de films. »

?LE 27/05 AVEC LES MANIC STREET PREACHERS À L’ANCIENNE BELGIQUE.

RENCONTRE Julien Broquet, À Austin

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