LES FRÈRES DARDENNE SIGNENT UN FILM LUMINEUX, EN PRISE SENSIBLE ET BOULEVERSANTE SUR SON ÉPOQUE. L’ÉDITION DVD PROPOSE UN DOCUMENTAIRE ÉCLAIRANT LEUR TRAVAIL.

Deux jours, une nuit

DE JEAN-PIERRE ET LUC DARDENNE. AVEC MARION COTILLARD, FABRIZIO RONGIONE, CATHERINE SALÉE. 1 H 35. DIST: TWIN PICS.

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On ne peut, à chaque nouveau film des frères Dardenne, que se montrer impressionné par l’acuité avec laquelle ceux-ci embrassent la réalité de l’époque, tout en amenant leur cinéma en terrain toujours plus épuré. Le scénario de Deux jours, une nuit est à cet égard un modèle du genre, que l’on pourrait ramener à une phrase, toute simple, mais chargée de sens: « Sandra, aidée par son mari, n’a qu’un week-end pour aller voir ses collègues et les convaincre de renoncer à leur prime pour qu’elle puisse garder son travail. » Proposition qui, devant la caméra des frères, prend une dimension suffocante, tandis que la jeune femme, sortant de dépression, s’emploie à faire le tour de ses collègues -« travail » sans cesse remis sur le métier en autant de plans-séquences, et façon de prendre la mesure d’un désarroi moral autant que social.

On pense inévitablement à Rosetta en découvrant Sandra, magnifiquement campée par une Marion Cotillard qui évite avec maestria l’écueil de la performance, les Dardenne creusant un sillon familier. Mais si l’une se battait pour trouver un boulot, l’autre lutte pour ne pas perdre le sien; et à la logique de guerrière de la première en succède une autre, où il serait surtout question de recréer une solidarité chancelante. « C’est notre film le plus ouvert sur l’extérieur », confiait Jean-Pierre à l’époque de sa sortie. Et de fait, Deux jours, une nuit s’inscrit dans la veine lumineuse du Gamin au vélo, le film récusant, au gré de son architecture limpide, toute forme de cynisme, non sans prendre des contours proprement bouleversants. Un chef-d’oeuvre.

Double perspective

Si le film se suffit largement à lui-même, on recommandera néanmoins chaudement l’édition spéciale deux DVD, riche en compléments passionnants. Il y a là, bien sûr, les classiques interviews des réalisateurs et des acteurs, tant Marion Cotillard que Fabrizio Rongione évoquant, parmi d’autres éléments, « la considération du public » animant les frères. S’y ajoute L’âge de raison, le cinéma des frères Dardenne, documentaire réalisé par Luc Jabon et Alain Marcoen, chef-opérateur sur leurs films depuis La Promesse. Et l’occasion d’une approche de l’oeuvre dans une double perspective, thématique et pratique. A défaut du témoignage des cinéastes, cette plongée au coeur de leur univers s’appuie sur ceux de proches collaborateurs, techniciens comme comédiens, que complètent une galerie de regards extérieurs, allant de l’historien d’art Laurent Busine à l’éthologue Vinciane Despret. Une manière de concilier leçon de cinéma et voyage au dos de leurs images, en complément idéal à la vision du film.

JEAN-FRANÇOIS PLUIJGERS

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