Au départ de The Artist, il y a un fantasme, « sans doute parce que les grands réalisateurs mythiques que j’admire le plus sont des gens qui viennent du muet… « , explique Michel Hazanavicius, citant les noms d’Alfred Hitchcock, Fritz Lang, John Ford ouFriedrich Wilhelm Murnau. De là à se colleter avec le muet, il y avait toutefois un pas, en forme de gageure, esthétique comme narrative d’ailleurs. Avant même de se lancer dans l’écriture du film, le réalisateur s’est ainsi replongé dans ses classiques, histoire de mieux appréhender le terrain de jeu qu’il s’était choisi. « On ne peut pas tout faire dans un film muet: on ne peut pas raconter exactement les mêmes histoires, il faut être plus simple, mais on peut aussi essayer un peu de complexité avec des choses simples. Et on peut aller dans des directions où l’on n’irait pas dans des films parlants. Les restrictions conduisent à explorer des endroits où d’autres ne vont pas, pour y trouver un espace de liberté. On essaye certaines choses, des séquences métaphoriques comme le cauchemar, par exemple, chose que l’on ne ferait pas dans un film parlant parce que c’est le normal qui prime. Lorsqu’on tente d’imiter la réalité, on ne peut pas se permettre ce genre de choses. Mais quand les gens parlent et qu’on ne les entend pas, quand ils sont en noir et blanc, le public est conscient du fait qu’on n’est pas dans la reproduction de la réalité. Il est dès lors prêt à accepter beaucoup . « 

Le muet, comme Internet

Pour nourrir cette réflexion, Michel Hazanavicius s’est reporté aux origines, pour ainsi dire, remontant les différents courants qui ont irrigué la production muette. « Il faut bien se dire que le cinéma était quelque chose de fort jeune, comme l’est Internet pour nous aujourd’hui. C’était tout neuf, et les réalisateurs essayaient beaucoup de choses, ils étaient intensément créatifs.  » Et d’évoquer les avancées esthétiques du cinéma muet allemand, comme celles de son pendant russe en termes de montage, le cinéma américain dispensant pour sa part un modèle narratif: « Leur façon d’approcher les histoires a prévalu par la suite, avec cette façon d’imposer une certaine réalité, une certaine proximité dans les personnages et dans l’histoire. « 

Ce processus mené à bien, restait au réalisateur à s’affranchir de cet héritage. « Je m’en suis tenu à 8 ou 10 films, les grands chefs-d’£uvre, que j’ai montrés à l’équipe et aux acteurs, comme autant de références, tout en les invitant à les oublier ensuite, pour faire notre propre film.  » Parmi ceux-là, City Girl et L’aurore de Murnau, La Foule de King Vidor et City Lights de Chaplin. Quant à George Valentin, le héros du film, s’il évoque, dans sa splendeur flamboyante un Douglas Fairbanks, son destin emprunte aussi à celui, tragique, des John Gilbert, Gloria Swanson et autre Clara Bow, stars du muet dont la carrière sera brisée, au tournant des années 30, par les premiers échos, assourdissants, du parlant…

J.F. PL.

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