Jim Jarmusch évoque, à son endroit, une ville « romantique et désolée« . Et, en tout état de cause, le cadre idoine pour son Only Lovers Left Alive, un film qui ne serait pas tout à fait le même sans Detroit, dont les décors laminés donnent son âme à l’errance nocturne de ses personnages, comme si la décrépitude du monde avait trouvé à se matérialiser au coeur du Michigan. Si le réalisateur de Broken Flowers s’est laissé porter par le sentiment de désolation qui en émane, d’autres, avant lui, avaient vibré au rythme singulier de Motor City -ainsi surnommée parce que berceau de l’industrie automobile américaine. Arthur Penn et Jeffrey Schatzberg en feront ainsi une balise incertaine dans l’horizon de leur cinéma: le point de départ que doit laisser derrière lui Warren Beatty dans Mickey One (1965), du premier; celui d’arrivée de Gene Hackman et Al Pacino dans Scarecrow (1973), du second, leur équipée prenant un tour définitivement amer dans les bassins du James Scott Memorial. Paul Schrader inscrira pour sa part Blue Collar (1978), son premier long métrage comme réalisateur, dans la chair même de la ville, sur les pas d’ouvriers d’une usine automobile qui, partis pour voler la caisse du syndicat, vont surtout en découvrir les malversations, en une vision pessimiste et sans complaisance de la machinerie capitaliste.

Géographie alternative

Mais si Detroit s’est imposée dans l’imaginaire, c’est aussi pour sa place dans l’industrie musicale, la ville étant notamment le berceau de la Motown, créée par Berry Gordy en 1959, tandis que des musiciens aussi divers que Ted Nugent, Jack White ou Sixto Rodriguez en sont originaires. Une dimension que le cinéma n’a pas manqué de se réapproprier, en multipliant les évocations plus ou moins inspirées, de Detroit Rock City (1999), fantaisie autour de Kiss-freaks signée Adam Rifkin (à noter qu’en dépit de son titre, le film a été entièrement tourné au Canada) à Dreamgirls de Bill Condon, en 2006, s’inspirant de l’histoire des Supremes, (super)stars locales. Sans oublier, bien sûr, le fort réussi 8 Mile (2002), de Curtis Hanson, d’après le nom de l’artère séparant banlieue blanche et quartiers black, et la ligne qu’aura à franchir Jimmy B-Rabbit, le rapper Eminem ne laissant à personne d’autre le soin de jouer son propre rôle, ouvrier dans une usine d’assemblage le jour; champion des mots le soir. Evoluant au rythme de rap contests, le film impose par ailleurs une géographie alternative de la ville, dont on retrouve certains éléments chez Jarmusch. Ainsi, en particulier, du Michigan Theater, cinéma désaffecté dont Only Lovers Left Alive nous apprend qu’il fut construit dans les années 20, pour ensuite être transformé en parking 50 ans plus tard -tout un symbole. De fait, c’est un peu comme si le film faisait encore la jonction de Motor City et de Music City, la balade longeant la Packard Automotive Plant, fermée pour sa part depuis 1958, avant d’envisager un détour par le musée Motown, puis de faire un crochet du côté de la maison de Jack White, comme autant d’instantanés d’une ville morte, sans doute, mais se refusant pour autant à rendre son dernier souffle…

J.F. PL.

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