Laurent Hoebrechts
Laurent Hoebrechts Journaliste musique

POUR FINANCER LEUR DERNIER ALBUM, DE LA SOUL A FAIT APPEL AU CROWDFUNDING. ET PROUVE QU’IL Y A BIEN UNE VIE, NON PAS APRÈS LE RAP, MAIS BIEN À CÔTÉ.

De La Soul

« and the Anonymous Nobody »

DISTRIBUÉ PAR KOBALT.

8

De De La Soul, on ne savait plus trop quoi attendre. Depuis The Grind Date, en 2004, le trio n’avait plus pensé à alimenter sa discographie. Certes, cela n’a pas empêché l’entité de continuer à tourner, toujours assez jouissive sur scène. Mais les vétérans hip hop (leur classique 3 Feet High and Rising date de 1989!) semblaient condamnés à errer un peu à la marge, confinés par exemple dans le rôle de réservistes de luxe chez Gorillaz (le tube Feel Good Inc, qui leur a valu, jusqu’ici, le seul Grammy de leur carrière).

L’an dernier, l’annonce d’un nouvel album, financé via la plateforme de crowdfunding Kickstarter, n’était qu’à moitié rassurante. Soyons honnêtes: présenté comme le moyen pour les artistes indépendants de doubler les labels, le système de financement participatif a rarement permis l’avènement de réels chefs-d’oeuvre (eh oui, c’est un euphémisme)… Dans le cas de De La Soul, l’opération a eu au moins un premier mérite. En récoltant quasi cinq fois l’objectif fixé (600 000 dollars sur les 110 000 revendiqués, soit la seconde plus grosse campagne de l’histoire de Kickstarter), le trio a pu être rassuré sur sa notoriété et sa capacité à mobiliser les fans. C’était déjà ça de gagné.

Here and now

Restait à conclure l’essai. Avec le magot amassé, De La Soul a commencé par accumuler les heures dans son studio Vox, à Los Angeles. Longtemps, les trois rappeurs ont privilégié les samples, pas toujours autorisés. Cette fois, il s’agissait d’échantillonner la musique issue de leurs propres sessions d’enregistrement. Soit quelque 300 heures de matériel en tout. Il ne faut pas chercher ailleurs la raison de la nature foncièrement organique de and the Anonymous Nobody (deux échantillons à peine, ultraclassiques -James Brown notamment-, moins références que clins d’oeil à l’exercice même du sample). Fluide, souple, le disque se laisse couler d’un groove à l’autre.

La liste d’invités est également conséquente, de Damon Albarn à Snoop Dogg en passant par Usher ou Jill Scott. Certains s’en tirant mieux que d’autres: David Byrne, par exemple, a du mal à sortir de son rôle habituel sur Snoopies et Justin Hawkins ne fait qu’enfoncer le clou rock franchement pénible de Lord Intended. Malgré cela, and the Anonymous Nobody réserve majoritairement des bonnes surprises. À l’instar par exemple de Pain (avec Snoop Dogg), groove pépère qui sonne presque comme une version laidback de A Roller Skating Jam Named « Saturdays » de 1991.

De La Soul ne ressuscite pas ici l’esprit des débuts. C’est même tout le contraire. La grande réussite de and the Anonymous Nobody est bien de proposer un album « adulte ». On n’a pas dit « classique », encore moins « vintage ». Non, ce que De La Soul parvient à faire ici, c’est bien de baisser la garde. Plus besoin de faire les fanfarons, à l’image du beat nocturne de Property of Spitkicker.com (avec Roc Marciano), ou de la ballade douce-amère de Memory of… (US) (avec Pete Rock et Estelle). En fin de disque, le touchant Here in After proclame: « We’re still here now ». Et cela sonne moins comme une affirmation revancharde que comme la conscience du temps qui passe. Et la volonté farouche de le savourer.

LAURENT HOEBRECHTS

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