Louis Danvers
Louis Danvers Journaliste cinéma

LE FIL BARBELÉ INSPIRE À SOPHIE BRUNEAU UN FILM PASSIONNANT, AUX ÉCHOS MULTIPLES ET D’UNE RARE BEAUTÉ.

La Corde du diable

DE SOPHIE BRUNEAU. 1 H 28. SORTIE: 25/03.

8

L’homme fait face à la caméra, et nous montre des présentoirs sur lesquels sont exposés tous les types de fil de fer barbelé, depuis les plus anciens et sommaires jusqu’aux plus récents et « subtils », munis de crochets complexes empêchant tout qui s’y prendrait de s’en dégager. Nous sommes en Amérique, dans cet Ouest que cette « corde du diable » (devil’s rope) a transfiguré en en modifiant le paysage jadis totalement ouvert, exempt de clôture avant que les chariots des colons n’y parviennent et que l’élevage suscite la pose de barbelés. Histoire de séparer les propriétés, et aussi d’empêcher le bétail d’errer à loisir. Aux Indiens de s’en accommoder, comme doivent le faire aujourd’hui les Mexicains tout proches, et qu’une longue barrière veut dissuader de pénétrer aux Etats-Unis…

Sophie Bruneau a voulu suivre l’histoire d’un accessoire agricole devenu l’expression littéralement tranchante d’un système économique et politique. Son documentaire, original dans son sujet comme dans sa mise en scène, offre une des expériences cinématographiques les plus fascinantes de ce début d’année. Une oeuvre admirablement située entre réel passionnant et regard (sobrement) critique, émotion du moment saisi par la caméra et réflexion posée dans la durée.

Du bétail aux humains

Sophie Bruneau avait déjà cosigné, avec Marc-Antoine Roudil, le très applaudi Arbres (en 2001). Son nouveau film s’avance dans une nudité marquante. Pas de commentaire off, ni de questions posées aux quelques témoins qui communiquent in situ en s’adressant à nous comme si nous étions là, tantôt dans la chaleur d’un désert où meurent de soif et d’épuisement bien trop de clandestins, tantôt dans la nuit incertaine où brillent les spots de surveillance d’un pénitencier. Car de la vocation première, fermière, du fil barbelé, le film nous donne à voir ses usages étendus aux hommes, indésirables parce que hors-la-loi de l’intérieur comme de l’extérieur…

Le discours que sous-tendent les images n’a pas besoin de se faire explicite. Le cadre est maîtrisé, le hors-champ se fait sentir, la photographie tire un parti superbe d’une lumière naturelle captée à des moments choisis. Rarement ce qui peut -et doit- séparer le documentaire d’auteur du reportage a été si manifeste, fascinant et palpable. Il serait dommage de ne pas mentionner, devant cette réussite, le travail du producteur (belge) Alteragofilms, également impliqué dans le récent et excellent Le Prince Miiaou de Marc-Antoine Roudil.

LOUIS DANVERS

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