David Michôd

"J'ai besoin que chaque nouveau projet soit quelque chose que je n'ai jamais fait." © VERA ANDERSON / GETTY IMAGES

Ambitieux réalisateur australien révélé en 2010 par le percutant Animal Kingdom, il signe aujourd’hui pour Netflix une très moderne tragédie shakespearienne avec Timothée Chalamet et Robert Pattinson: The King.

Il y a une petite dizaine d’années de cela, il frappe un très grand coup avec son tout premier film, Animal Kingdom, sombre drame criminel aux allures de tragédie antique qui fait la peinture peu amène d’une famille de malfaiteurs de Melbourne placée dans le collimateur de la police locale. Depuis, il n’a plus réitéré pareille réussite, mais chacun de ses films dénote une ambition -formelle, notamment- toute singulière, qui s’inscrit dans un ensemble balayant un spectre de genres étonnamment vaste. Entre le film de gangsters d’un noir d’encre ( Animal Kingdom en 2010, donc), le drame futuriste aux accents post-apocalyptiques à la Mad Max ( The Rover en 2014), la satire militaire outrancière ( War Machine en 2017) et la tragédie historique aux résonances contemporaines ( The King, sur Netflix, depuis novembre dernier). Cinéaste-girouette, David Michôd?  » Jusque maintenant, c’est un peu comme ça que je fonctionne, oui, concède-t-il alors qu’on le retrouve début du mois au Festival international du film de Marrakech, où il officie au sein du jury présidé par Tilda Swinton . J’ai besoin que chaque nouveau projet soit quelque chose que je n’ai jamais fait. C’est ce que j’aime avec le cinéma: il s’agit à chaque fois de tout recommencer depuis zéro. »

Cinéaste né à Sydney au début des années 70, à une époque où Peter Weir ( Picnic at Hanging Rock) y fait de très prometteurs débuts, Michôd ne se destine pas forcément au 7e art à l’origine.  » Disons que je savais que je voulais créer. Mais sans trop savoir dans quel domaine. J’ai toujours aimé lire et écrire, écouté beaucoup de musique… Et bien sûr, j’ai toujours adoré le cinéma, mais je ne suis pas ce genre de réalisateur qui a grandi avec une caméra dans la main. Gamin, j’étais obsédé par les mêmes films que tout le monde, les Star Wars , Les Dents de la mer , ce genre… Et puis, peu à peu, j’ai commencé à creuser un peu plus. J’avais pour habitude d’aller régulièrement dans un vidéo-club avec mes potes. On louait une dizaine de films pour la semaine, avec cette idée de plus en plus présente d’explorer des choses inattendues, d’aller vers des objets de plus en plus étranges. On était ouverts à la beauté des surprises et du hasard. C’est comme ça qu’on a commencé à regarder les films de David Lynch ou de David Cronenberg. Ceux de Gaspar Noé et Harmony Korine. Et puis, un jour, j’ai découvert le travail de Kim Ki-duk. Je me souviens très bien de ce que j’ai ressenti face à ses premiers films. Je n’avais jamais rien vu de pareil. Ça a été très important pour moi. »

Une affaire de famille

Quand il se lance dans la réalisation d’ Animal Kingdom, il a à peine un documentaire et quelques courts métrages derrière lui. Soufflant, le film, primé à Sundance, deviendra quasi instantanément culte, et connaîtra même une déclinaison sous forme de série télévisée.  » Le scénario était assez complexe et je me souviens très bien que tout le monde n’arrêtait pas de me dire de revoir mes ambitions à la baisse, que c’était un trop gros défi pour un premier long. Mais plus les gens me répétaient ça, plus je voulais que le film soit une énorme tuerie (sourire) . J’étais déterminé comme jamais, mais j’ai aussi été particulièrement chanceux, notamment que des comédiens de la trempe de Guy Pearce, Joel Edgerton, Ben Mendelsohn ou Jacki Weaver aient accepté de me suivre dans ma folie. »

Neuf ans plus tard, il signe aujourd’hui avec The King ( lire la critique page 30), son quatrième film, une variation très libre sur l’histoire du roi Henry V, dérivée de plusieurs pièces de Shakespeare. Joué par Timothée Chalamet, le souverain anglais, grand vainqueur des Français lors de la fameuse bataille d’Azincourt en 1415, y apparaît d’abord en jeune prince rebelle et bambocheur, puis en habile stratège dont le franc idéalisme se voit bientôt ternir par les cruelles vicissitudes du pouvoir.  » A priori, ce genre de reconstitution médiévale n’est pas du tout mon truc. Et je crois que c’est justement ce qui m’a attiré dans ce projet. Je trouvais excitant de livrer ma vision de ce que peut être ce genre de film. Il ne m’intéressait pas de faire passer un quelconque message politique. Mais il était évident que nous ne pouvions pas nous contenter d’adapter Shakespeare tel quel. Parce que certains éléments apparaîtraient aujourd’hui complètement datés, voire inadéquats. Il y a par exemple chez Henry V une sorte de grandiloquence nationaliste qui n’avait, je pense, rien à faire dans le film que je voulais réaliser. Idéologiquement, ça n’allait pas. J’étais davantage attiré par la dimension conflictuelle et vulnérable, mais aussi assez héroïque du personnage, qui se retrouve bien malgré lui pris au piège d’un mécanisme singulièrement toxique. »

C’est au fond l’une des thématiques qui traversent toute l’oeuvre de Michôd, aussi hétéroclite puisse-t-elle paraître.  » Oui, je me rends compte que j’affectionne particulièrement de mettre en scène des personnages évoluant dans un environnement toxique, et qui découvrent que le monde n’est pas du tout tel qu’ils se l’étaient imaginé. The King ne raconte au fond rien d’autre que l’histoire d’un jeune homme investi de grandes responsabilités qui réalise qu’il n’a pas le contrôle sur les choses. » Soit déjà l’exact enjeu d’ Animal Kingdom.  » C’est vrai. J’ai d’ailleurs placé dans The King une phrase qui aurait pu résumer à elle seule Animal Kingdom : « La famille nous consume. » Cette formule sert en quelque sorte de fondement à tout mon travail. »

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