Dans le dos

« La banlieue », souvent pointée du doigt, possède ses codes, sa musique, son argot… Elle tient désormais sa série BD, plus sociologique qu’il n’y paraît.

De prime abord, cette BD-là n’était pas spécialement conçue pour nous. Un graphisme assez sec, tout en dégradés de gris, proche du manga et tout entier conçu à la palette, et une histoire on ne peut plus contemporaine de banlieue française qui tient plus de La Haine ou des Misérables que des récits poétiques de Gilles Rochier, jusque-là seul chroniqueur identifié et infatigable de ces quartiers-là en BD, avec de formidables albums chez 6 Pieds sous Terre ou Casterman dans lesquels il réfute d’ailleurs le terme de banlieue. Ici, dans En falsh, les clichés sont au contraire pris de front, dans un récit qui sent fort le béton, le RER B et « la frappe », ce shit que les gars de la cité vendent à 20 euros la barre -leur principale activité. Il y a ici Samuel, qui zone avec ses potes; Samir, qui fait des petits boulots; Bendiougou, qui fait ce qu’il peut depuis sa cellule; Modi et Gregory, qui gèrent « les affaires familiales » d’une main de fer dans un gant d’acier, mais quand même avec une once de regret – » Putain, on est les plus diplômés de la cité, et on est encore dans ces conneries » – « C’est pas des conneries, c’est des affaires. Faut juste se le rentrer dans le crâne. Que c’est un business comme un autre ». Et de fait: derrière les injures qui déboulent dès la première page ( » Fils de pute, tu casses les couilles, tu te prends pour qui sale enculé de ta mère? Tu veux béflan?« ), presque aussi vite que les clichés, ce premier tome de En falsh (qui signifie « dans le dos ») s’avère en réalité un ambitieux travail de docu-fiction sur les mécanismes mis en place dans ces lieux oubliés de la République. Et qui tend à montrer que le déterminisme social, même exprimé avec d’autres mots, reste une cruelle réalité.

Dans le dos

Mécanismes sociaux

Une dizaine de personnages qui traverseront cinq tomes thématiques très différents (le premier est axé sur l’économie souterraine de la drogue, suivront le quotidien des habitants, le système judiciaire, le milieu hospitalier et le système éducatif) et dont l’ensemble dressera le portait social d’une ville de banlieue. Le scénariste Oz, pour ses premiers faits d’armes (outre la série fantasy Les 5 Terres chez le même éditeur) ne manque donc pas d’ambition, et l’assume:  » J’ai voulu montrer que les trajectoires humaines sont bien plus souvent l’oeuvre de mécanismes sociaux et institutionnels précis que les fruits d’une nature individuelle ou de la défaillance de l’escalier soi-disant méritocratique que certains n’auraient pas voulu monter. » L’Histoire dira si le bonhomme est un ouf ou un bouffon, mais ce qui est sûr, c’est qu’il est chaud!

En falsh- T. 1: On est là

de Oz et Bastien Sanchez, éditions Delcourt, 152 pages.

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