LA CINÉMATHÈQUE FRANÇAISE ACCUEILLE UNE VASTE EXPOSITION CONSACRÉE À METROPOLIS, CHEF-D’OUVRE MUET DE FRITZ LANG, LE CINÉASTE ALLEMAND ÉTANT L’OBJET, DANS LA FOULÉE, D’UNE SOMPTUEUSE MONOGRAPHIE DE BERNARD EISENSCHITZ.

Après Renoir, Tati ou Kubrick, la Cinémathèque française consacre sa nouvelle exposition non pas à un réalisateur-phare, mais bien à un film. L’ambition n’est pas moindre pour autant, puisque le film n’est autre que Metropolis, l’un des chefs-d’£uvre de Fritz Lang, mais aussi l’une des £uvres emblématiques du cinéma muet, porté là à sa quintessence. Un film qui a d’ailleurs généré une descendance nombreuse, englobant aussi bien le Blade Runner de Ridley Scott que le Brazil de Terry Gilliam, et jusqu’au Alphaville de Jean-Luc Godard, pour ne citer que ceux-là.

Au-delà de ses qualités intrinsèques, l’histoire même du film est incroyable, qui s’étire de 1925, lorsque le tournage de Metropolis commence aux studios de Neubabelsberg, jusqu’en 2008, quand une version du film dans sa durée d’origine réapparaît miraculeusement au Museo del Cine de Buenos Aires. C’est qu’entre-temps, en effet, le Metropolis qu’avait pu admirer le public s’était vu amputer d’un quart de son métrage -4189 mètres, soit 153 minutes, lors de la première du Ufa-Palast am Zoo de Berlin le 10 janvier 1927. L’accueil critique est glacial, et lorsque le film sort, quelques semaines plus tard à New York, il a été remonté, 35 minutes passant ainsi à l’as dans une version qui servira de modèle à celles exploitées ensuite en Allemagne et ailleurs. Si le temps a rendu justice à l’£uvre, et au génie de son réalisateur, la providentielle découverte argentine vaut enfin au public de pouvoir (ré)apprécier le film dans une version conforme à la vision de Fritz Lang, tout en offrant à l’exposition, conçue par le Film- museum de Berlin, et augmentée des collections de la Cinémathèque française, un cadre de référence.

C£ur médiateur

Metropolis a été inspiré, notamment, par le voyage entrepris par Fritz Lang et le producteur Erich Pommer aux Etats-Unis à l’automne 1924. La découverte de Manhattan offre au réalisateur le déclic indispensable pour donner corps à une histoire mettant en scène une ville-miroir, où à la cité souterraine des ouvriers répond celle, aérienne, des dirigeants. A charge pour Freder, le fils du maître de Metropolis d’assurer la jonction entre les 2, suivant la maxime affirmée d’entrée: « Le médiateur entre le cerveau et les mains doit être le c£ur. » Si la proposition peut quelque peu prêter à sourire, la puissance visionnaire du film (qualité qui englobe, du reste, une partie du propos, prémonitoire à divers égards: le défilé des ouvriers, marchant en cadence, avant de rejoindre les entrailles de la terre, est propre à faire frémir, aujourd’hui encore) ne s’est jamais démentie, Lang laissant là libre cours à une inspiration idéalement servie par la technique. Le concept visuel même de la ville du futur est saisissant, là où le film aligne les moments d’anthologie, le plus fameux restant, bien sûr, celui de la transmutation du robot prenant forme humaine entouré de cercles lumineux.

De cet accomplissement, l’exposition rend idéalement compte à travers un scénario articulé en 6 séquences, et qui s’ouvre dans la Cité des Fils pour ensuite conduire le visiteur dans la Cité ouvrière, la Ville haute, le laboratoire Rotwang, les Catacombes et, enfin, la Cathédrale, reconstituant la succession de temps forts de l’écran. Rarement, peut-être, le regard de Lang est-il apparu aussi aiguisé que dans ce film où il fait £uvre de bâtisseur avec un sens affûté de la composition, à quoi il adjoint une science incontestable du spectacle, bien servie par les avancées techniques de l’époque. Toutes qualités qui font de Metropolis un étendard de la modernité esthétique et technologique, avec aujourd’hui ce surcroît de charme que lui confère sa dimension rétrofuturiste. On reste stupéfait devant la force intacte d’images qui ont toujours, plus de 80 ans après leur conception, le don de subjuguer le public -on en veut d’ailleurs pour preuve les embouteillages qui se forment autour des écrans de projection installés dans chaque section de l’exposition.

311 jours et 60 nuits

Saluant forcément le gigantisme de l’entreprise -qui nécessita 311 jours et 60 nuits de tournage, mobilisant plus de 750 comédiens, et quelque 25 000 figurants-, l’exposition en retrace aussi les fondements, tout en en dévoilant des aspects parfois inattendus. Salle après salle, on découvre ainsi d’innombrables photos de plateau, les dessins des décorateurs Erick Kettelhut et Otto Hunte, les esquisses des costumes d’Aenne Willkomm, la partition de Gottfried Huppertz, et l’on en passe, comme cette photo de Broadway qu’aurait prise Lang lors de son périple américain de 1924, ou cette autre montrant Sergei Eisenstein en visite sur le tournage. La petite histoire veut que Lang, qui n’avait pu voir Le Cuirassé Potemkine, encore inédit sur les écrans allemands, lui aurait dit, un brin condescendant: « Avec un peu de pratique, vous tournerez comme nous.  » Il en faut plus, toutefois, pour impressionner le cinéaste soviétique, dont Bernard Eisenschitz nous apprend, dans Lang au travail, qu’il eut des propos quelque peu acerbes sur le travail de son confrère: « Lang a l’air qu’aurait Koulechov si on l’avait bien nourri pendant longtemps. Cette ressemblance touche aussi au goût. Le style « nu », si caractéristique de Koulechov, marque aussi l’écriture de Lang. Avec 6 millions de marks, Koulechov ne réussirait pas plus mal Metropolis.  » Après les échanges de bons procédés, ceux de mauvaise foi, en somme…

De chapitre en chapitre, c’est aussi un peu de l’intimité du tournage qui se révèle, alors que l’on découvre Lang au travail, ou en compagnie, de Thea von Harbou, son épouse et scénariste du film, mais aussi de ses comédiens -jusqu’à André Mattoni, interprète initial de Freder, que remplacera après quelques semaines Gustav Fröhlich. S’y ajoutent diverses pièces spectaculaires, comme le robot, reconstitué en 1972 par Walter Schulze-Mittendorf, son créateur, à la demande de la Cinémathèque française, ou encore la série de têtes représentant les 7 péchés capitaux, sculptées par ses soins, qui achèvent de faire de cette exposition une réussite exemplaire. Quant aux raisons qui ont fait de Metropolis un film au rayonnement exceptionnel, au-delà même de ses imperfections, elles sont évidemment multiples. L’une d’elles tient sans doute à ce constat énoncé dans un passionnant documentaire consacré à la restauration du film et proposé au c£ur du parcours: « Une £uvre d’art a toujours un supplément de sens ignoré de son auteur. C’est le cas de ce film, prémonitoire. «  S’y ajoute le génie d’un auteur qui sut trouver les arguments formels les plus audacieux pour traduire une vision du monde sans équivalent, dont cette exposition vient judicieusement célébrer l’inaltérable puissance évocatrice…

u JUSQU’AU 29 JANVIER 2012, À LA CINÉMATHÈQUE FRANÇAISE, RUE DE BERCY 51, PARIS.

TEXTE JEAN-FRANÇOIS PLUIJGERS, À PARIS

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