APRÈS AVOIR CREVÉ L’ÉCRAN DANS LA PRINCESSE DE MONTPENSIER, DE BERTRAND TAVERNIER, RAPHAËL PERSONNAZ SIGNE UNE COMPOSITION SUR LE FIL DU RASOIR DANS TROIS MONDES, DE CATHERINE CORSINI. PORTRAIT.

Raphaël Personnaz, on l’a vraiment découvert à la faveur de La Princesse de Montpensier, la fresque historique de Bertrand Tavernier où il interprétait un duc d’Anjou à rebours des clichés. Tout à coup, c’est comme si, après quelque dix ans de présence à l’écran, les projecteurs se braquaient enfin sur un comédien à la filmographie pourtant touffue, écartelée entre Le pornographe, de Bertrand Bonello, et Rose et noir, de Gérard Jugnot. Lucide, Personnaz, invité du festival de Namur au titre d’une double actualité, Trois mondes, de Catherine Corsini, et After, de Géraldine Maillet, évoque d’ailleurs un avant et un après Montpensier: « Juste avant le film de Tavernier, je voulais arrêter, confie-t-il, parce que je voyais que ça n’évoluait pas. J’arrivais à en vivre, mais je n’étais pas heureux dans ce métier, je ne rencontrais pas un réalisateur où un rôle où j’avais l’impression de m’élever un peu, d’apprendre…« Anjou sera donc celui-là, qui lui échoit presque par accident, après le désistement de Louis Garrel. Un heureux hasard parmi d’autres, comme celui voulant qu’un directeur de casting passant par le cours de théâtre où il étudiait lui propose un rôle dans Un homme en colère, série télé avec Richard Bohringer et premier contact avec la caméra. Raphaël Personnaz a alors seize ans, et celui que ses premiers élans destinaient à la scène va apprendre à se familiariser avec le cinéma: « Au fur et à mesure, je me suis habitué au jeu que demande la caméra -un jeu plus réduit, on va dire, et en tout cas très différent. »

Tavernier a sans doute mieux que quiconque su cerner son profil, qui dira avoir trouvé en lui « un acteur qui a de la prestance, de l’élégance, du charme », avant de saluer, en référence à Anjou toujours, sa capacité à traduire « l’intelligence, l’ambiguïté et l’ironie décapante du personnage ». Ces qualités, le comédien les met aujourd’hui peu ou prou au service de Catherine Corsini (lire son portrait page 44) et de ses Trois mondes (lire critique page 31). Un drame contemporain celui-là, où il campe Al, un jeune homme de condition modeste à qui la vie semble enfin sourire, sous la forme d’un mariage prochain avec la fille de son patron assorti de la promesse de la reprise de la concession automobile familiale. Perspective que va envoyer valdinguer un enterrement de vie de garçon fort arrosé, suivi d’un accident grave avec délit de fuite -de quoi laisser le héros pantelant à la croisée de ses aspirations personnelles et d’une culpabilité qui n’en finit plus de le ronger.

Questions d’éthique

Et la matrice, pour le coup, d’une composition sur le fil du rasoir: « Al est un personnage très taiseux, qui n’est pas reconnu pour ce qu’il est réellement auprès de sa famille et de ses amis, il vit dans le mensonge, sans même s’en rendre compte », observe l’acteur. Qui, pour en appréhender les fêlures et les névroses, va s’enfermer dans un isolement croissant dès avant le tournage: « Je voyais très peu de gens et je ne voulais pas parler, pour essayer de rentrer dans un état très coincé et très nerveux », explique-t-il, gymnastique dont il confesse qu’elle l’a longtemps travaillé: « L’idée de se mentir à soi-même, et de mentir aux autres, c’est quelque chose dans lequel tout un chacun peut se reconnaître à un moment donné de sa vie. Donc, ça fait écho, forcément, à des interrogations plus personnelles. On n’en sort pas indemne. »

Voilà pour le ressort intérieur du personnage. Pour ce qui est de son environnement, Raphaël Personnaz raconte avoir notamment rencontré de nombreux concessionnaires automobiles. « J’ai trouvé intéressant que le film aborde une classe sociale dont le cinéma ne parle guère, cette classe moyenne qui travaille beaucoup mais n’a guère de reconnaissance socialement. » Et de balancer une pierre dans le jardin de Sarkozy, avant d’extrapoler: « Les concessionnaires avec qui j’ai parlé sont ceux qui avaient cru, par exemple, au « Travailler plus pour gagner plus », et qui ont été déçus. Quand Sarkozy est arrivé au pouvoir, il y a eu ce slogan, et puis la crise qui est arrivée. Pour le personnage de Al, l’accident, ça serait comme la crise économique. Mais même sans cet accident, la mécanique se serait rouillée à un moment donné. Comme tout s’est globalisé, la société française et d’autres n’ont pas voulu voir la crise qui allait arriver. On savait, et on n’a pas voulu voir les choses, et on continue comme en avant. Si on met le film en abîme, on y trouve une critique de tout cela. » Autant dire que le choix d’un tel rôle n’a rien d’anodin: « On aurait très bien pu, avec ça, faire un thriller ou un film policier comme un autre. Mais là, il y avait cette dimension éthique, et c’est ce qui m’intéressait. »

L’éthique, un grand mot, c’est encore une dimension qui s’est imposée avec le temps à ses choix, se superposant à une approche ludique du métier. S’il est « important de garder en soi l’enfant qui a envie de se déguiser et de s’amuser », il l’est tout autant de pouvoir « rentrer le soir après un tournage et me dire que je suis en conformité avec ce que j’ai envie de faire dans la vie et avec mes convictions. Après, j’ai envie de défendre des films différents, parce que comme spectateur, je suis assez éclectique. Mon éthique, c’est ça: aborder plusieurs styles différents, toujours le plus sincèrement et le plus honnêtement possible. » Exemple de cette diversité qu’il appelle de ses voeux, on peut l’apercevoir sous les traits d’Alexandre Vronski dans le Anna Karenina de Joe Wright, sans qu’il faille y voir pour autant de plan de carrière, hollywoodienne par exemple: « Je ne suis pas de culture américaine, et je me verrais mal jouer le rôle du méchant français dans Iron Man 14« , rigole-t-il franchement. De fait, à son agenda figurent le Marius de Pagnol dans la version de Daniel Auteuil et des retrouvailles avec Bertrand Tavernier pour Quai d’Orsay, adaptation de la BD de Christophe Blain et Abel Lanzac. Manière de boucler la boucle, provisoirement.

RENCONTRE JEAN-FRANÇOIS PLUIJGERS

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