RÉVÉLATION DE CE DÉBUT D’ANNÉE, LE TRIO YOUNG FATHERS INVITE À LA GRAND-MESSE TRIBALE, TREMPANT SON RAP-SOUL-GOSPEL SOUS UNE ÉPAISSE DOUCHE ÉCOSSAISE REVIGORANTE. SOUS LE BRUIT, LA MÉLODIE…

Deux jours après, ceux qui y étaient en parlaient encore. C’était au tout début mars, dans le club de l’Ancienne Belgique. Les Young Fathers y donnaient, déjà, l’un des concerts de l’année. Un set court (pas de rappel), mais intense, étrange et passionnant. Sur scène, des regards possédés, de la colère, voire de la fureur, qui rendent pourtant l’expérience incroyablement euphorisante. Bref, une bonne claque. Pour créer tout ce ramdam, pas besoin de grand-chose: un ordinateur, un batteur habité, et les trois rappeurs/chanteurs qui forment les Young Fathers -Alloysious Massaquoi, Kayus Bankole et Graham « G » Hastings, tous trois basés à Edimbourg, Ecosse. Difficile de décrire la marmite sonore, sinon en les rapprochant peut-être d’un Massive Attack en plus tribal ou d’une version vaudou-rap des Specials (avec Graham Hastings dans le rôle de Terry Hall). Au tout début du concert, Alloy Massaquoi, géant black au regard paisible, parcourt la scène en agitant une sorte de petit balai africain. « Je « nettoie » en quelque sorte l’espace. En montant sur un podium, vous vous exposez, vous vous mettez en danger. C’est important de faire place nette pour créer les conditions, permettre que naisse un moment. »

King of the Bongo

Une semaine après son passage à l’AB, on retrouve le trio dans son hôtel à Amsterdam. Un dimanche matin, plein soleil sur les canaux. Soit à l’exact opposé des ambiances sombres et claustrophobes -on n’a pas dit plombées- de DEAD, premier album sorti récemment. La veille, l’ordinateur a crashé: Hastings s’acharne à récupérer les données. Kayus Bankole soigne lui un nez qui n’arrête pas de saigner. A charge donc d’Alloy Massaquoi de tenir le crachoir et de revenir sur les origines du groupe. « On est tous nés en 1987. A l’école, il y avait les mecs cools, les geeks… On était plutôt le genre à se retrouver au milieu. Pas envie de choisir. On s’est rencontrés au Bongo, un club à Edimbourg, lors de la soirée hip hop bimensuelle. C’était à peu près la seule distraction pour les gamins comme nous. Les filles, les basses lourdes, les murs moites… » Quand ils se croisent au Bongo, Hastings chipote déjà un peu sur son ordi. Il propose aux deux autres de venir essayer des trucs. « On avait envie de s’exprimer, mais sans forcément savoir comment faire. » Leur premier titre ensemble? Alloy se marre: « Tell me why. On avait quatorze piges et on pensait déjà avoir un hit (rires). Graham avait chopé le micro d’une machine à karaoké. On s’est enregistrés, tous les trois autour du même micro. C’est marrant parce que c’est toujours ce qu’on fait aujourd’hui. »

L’assemblage des Young Fathers est à tout le moins hétéroclite: si Hastings a toujours vécu du côté d’Edimbourg, Bankole y est né avant de passer quelques années au Nigéria (d’où sont originaires ses parents) et aux Etats-Unis, puis de revenir en Ecosse. Quant à Massaquoi, il est né au Liberia… On pourra donc facilement dénicher des influences africaines dans la musique des Young Fathers -certains rythmes tribaux, les mix aussi qu’ils ont réalisés par exemple pour le site OkayAfrica. Le fil rouge, le dénominateur commun est cependant ailleurs. « On a tous grandi avec la pop music. On aime les mélodies. C’est ce qui nous rassemble avant tout. C’est aussi ce qu’il y a de plus compliqué à réaliser: trouver le bon équilibre entre le texte, les voix, les sons, tout… Bref, la bonne combinaison pour arriver à la meilleure chanson pop possible, celle qui touche, qui procure une émotion. » Précision tout de même: « C’est la mélodie, mais parfois c’est aussi l’absence de mélodie qui peut créer un morceau pop. » D’où ces chansons biscornues, tordues, d’où émergent tout à coup une lueur soul, un éclat quasi gospel. Il y a quelques années déjà, le trio sortait une poignée de singles, plus franchement rap et sautillants. La presse locale les rebaptisera même les « Beastie Boys écossais ». Le début de la gloire avant le trou noir. « Ça ne clopait pas avec notre management. Il ne comprenait pas où on voulait aller. Donc on est partis. » Retour à la case départ. En 2001, ils sortent le EP Tape One, en autoproduction. « Ce fut une vraie libération. On a fait ça en une semaine. Le but était de lâcher le truc au bout de la session, peu importe si cela n’était pas parfait. On voulait capturer un truc. » Le label américain Anticon prendra le relais et signera le trio. Un choix cohérent pour une maison qui a toujours accueilli des projets rap non conventionnels, hors format. « Quand vous venez d’Edimbourg, où il n’y a pas vraiment de scène artistique, vous devez être plus créatif. Il n’y a aucune loyauté à avoir à aucun genre, aucune scène. Aucun d’entre nous n’écoute qu’un seul type de musique. Ce qu’on recherche quand on est en studio, c’est une certaine sorte de vibration. Et arriver à être soi-même. »

Reste quand même une question: d’où vient tout cette rage, cette colère qui suinte de la musique des Young Fathers? « Je ne parlerais pas de colère, mais plutôt de passion. D’engagement. Pour nous, il y a plein d’espoir dans un disque comme DEAD. » En tout cas quelque chose d’euphorisant, c’est sûr, un peu à la manière d’une fanfare qui accompagne les cortèges d’enterrement dans les rues de La Nouvelle-Orléans. D’ailleurs, au fond, quelle était l’autre option, si la musique n’avait pas marché? Massaquoi: « Peut-être fossoyeur dans un cimetière. Je l’ai déjà fait. C’est pas mal pour communiquer avec les morts (sourire). » Et Kayus Bankole? « Probablement pasteur. » Ça tient la route au vu de l’intensité quasi mystique avec laquelle il lâche ses raps. « Ah ah ah, c’est clair. Un prêtre pour tous les non-croyants! » Alleluia!

YOUNG FATHERS, DEAD, DISTRIBUÉ PAR ANTICON (PIAS). EN CONCERT AU PUKKELPOP LE 14/08.

RENCONTRE Laurent Hoebrechts, À Amsterdam

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content