Crime parfait

Sur son nouveau Alfredo, Freddie Gibbs fait équipe avec The Alchemist, et dégaine un album dense et racé, emmené par son flow vicieux.

Depuis toujours, le rap a cultivé une attirance particulière pour la figure du voyou magnifique et/ou crapuleux. Au point d’en faire un genre en soi: le gangsta rap, reflet d’une vie où le crime est souvent le moyen le plus direct pour obtenir la réussite financière, quitte à se mettre au ban d’une société qui ne vous a de toutes façons jamais tout à fait accepté.

Bien sûr, there ain’t a business like show business, et si le personnage fait recette, cela tient autant à la chronique sociale qu’il propose qu’au fantasme et à son sens de l’exagération cartoonesque. Dans le genre, Freddie Gibbs rassemble parfaitement les deux facettes. Il est même devenu aujourd’hui celui qui incarne cette figure avec le plus de crédibilité, et, il faut bien le dire, de magnétisme. Son nouveau disque, Alfredo, sur lequel il retrouve The Alchemist, en est une nouvelle preuve implacable.

Né Fredrick Jamel Tipton, en 1982, Freddie Gibbs a tiré son pseudo du gangster du film Black Caesar, Tommie Gibbs. Voilà pour le côté « cinémascope ». Le rappeur ne s’est pas inventé une vie pour autant. La rue et ses vices, il connaît. Il a grandi en effet à Gary, Indiana, connue pour être la ville de naissance des Jackson Five, et… avoir subi de plein fouet la crise économique -en 50 ans, plus de la moitié de la population a quitté les lieux. Ce déclin industriel n’a pas manqué de charrier son lot de violence et de crimes. Quand il a douze ans, Freddie Gibbs opère ses premiers deals, de l’herbe d’abord, avant de passer au crack…

Crime parfait

Aujourd’hui encore, cela reste le thème principal de ses textes. Sur Alfredo, pas un seul morceau n’oublie de cocher les cases dopes et flingues – » Put them FNH’s on your clown ass » , sur 1985, en référence aux « produits » de la FN Herstal. Dans le même morceau, Gibbs se marre:  » Michael Jordan, 1985, bitch, I travel with a cocaine circus » , référence au club de cokés qu’était l’équipe des Chicago Bulls quand y a débarqué Jordan, selon le récent docu The Last Dance -preuves que Gibbs a également passé son confinement devant Netflix… À la fois détaché et hyperprécis, le flow du rappeur peut se déployer sur des productions particulièrement juteuses. À la manoeuvre, The Alchemist pioche volontiers dans des samples souls ( Look At Me), velours hip-hop classe et canaille qui convient à merveille à Gibbs et ses invités du jour -de Rick Ross à Tyler, The Creator en passant par Griselda. Citant également la série Godfather of Harlem ( » You know why I love to sell a ton of drugs in Harlem, Bumpy?« , demande le mafieux Bonanno), Alfredo n’en est pas pour autant une « glorification » de la vie criminelle. Derrière les côtés les plus crâneurs de son récit, Freddie Gibbs ne fait planer aucune illusion sur l’impasse d’une vie de gangster. Qu’il évoque les violences de la police ( Scottie Beam) ou celles de la rue.  » Like every night, I dream a nigga tryna murder me« , explique-t-il sur Skinny Suge, avouant même plus loin :  » My uncle died off a overdose/And the fucked up part about that is I know I supplied the nigga that sold it » . Le crime paie rarement, mais il coûte toujours.

Freddie Gibbs & The Alchemist

« Alfredo »

Distribué par ESGN/Empire.

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