Creux d’identité

© ALEXANDER JAMES

Dans Pères et fils, Howard Cunnel met en présence sa jeunesse sans référent paternel et la transition de genre de l’enfant qu’il a fait sien.

 » Papa n’existe pas mais ma vie est pleine de moments où je pense à lui. » Howard est à peine né quand Jason, son père inconséquent, se fait la malle, laissant derrière lui une compagne et deux fils. Longtemps, le cadet (avatar autofictionnel de l’auteur) est pétri de culpabilité, persuadé que sa présence au monde est aussi la cause de la dissolution familiale. Rongé par ce qu’il croit être une faute originelle et persuadé de sa médiocrité, l’adolescent joue avec le feu d’un peu plus près que les autres:  » La colère était un monstre qui vivait en moi, se nourrissait de l’absence. » À Eastbourne, en bord de Manche, à la fin des années 70, les étés sont remplis d’interdits à dépasser, de gros bras à défier, d’une Tierney qui le prend un instant sous son aile. Entre  » l’excité bagarreur et gueulard » et le féru d’Hemingway, de Kerouac et de musique, Howard oscille, incapable de savoir vraiment qui il est. Un voyage au Mozambique à la vingtaine lui met en tête des histoires qu’il a envie d’écrire et Robin, une photographe, partage un certain temps sa vie de bohême entre squat, bar à strip et fascination pour Les Feux de Raymond Carver.  » Si on laisse faire, l’histoire de notre vie se résume à la part manquante, non à la présente« , constate en connaisseur Cunnell.

En 1995, Howard rencontre Araba, femme de théâtre ghanéenne et leur entente repose d’abord sur une façon commune de faire semblant: lui d’être quelqu’un d’autre, elle de croire qu’il est capable de devenir cet autre,  » doux, paisible« , obsédé par la natation plutôt que par l’alcool. Araba est déjà mère et attend un autre enfant dont il n’est pas le père mais c’est cette vie-là qu’il choisit. Une existence où faire famille avec celle qu’il aime fait sens. Où il prend soin de Lee, Jay et Rose, trois filles. Où sa mission du jour consiste à tresser les cheveux de Jay, son  » Petit ours » avant qu’elle ne retourne donner du fil à retordre aux garçons lors d’une partie de football.

Creux d'identité

Figure absente

 » Les points cardinaux sont immuables, ils ne changent pas. On ne pense pas à eux, jusqu’au jour où l’on perd son chemin. » La cartographie familiale sereine bascule sens dessus dessous quand survient l’adolescence. Jay a des entailles aux poignets,  » porte une vérité qu’elle ne peut mettre en mots« . Se sent viscéralement « il » dans un corps d' »elle ». Comment assumer cette douleur et accompagner au mieux son enfant dans sa transition de genre? Howard sera-t-il, lui aussi, un père qui part ou s’efforcera-t-il d’être celui qui, maladroit mais aimant au-delà de tout, reste? Qu’est-ce qui se dissimule derrière l’adage « être un homme, un vrai » face à de tels enjeux pour la paternité, aujourd’hui? En mettant côte à côte ces deux pans de vie effilochés, où devenir soi doit s’apprendre, Cunnell dote son récit ultra-sensible, au ton toujours juste, d’une possibilité majeure de résilience. D’une vie où la compréhension d’une figure absente reste possible.

Pères et fils

D’Howard Cunnell, éditions Buchet-Chastel, traduit de l’anglais (Royaume-Uni) par Stéphane Roques, 240 pages.

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