Elles sont jeunes, frondeuses, foncièrement british, pondent des tubes pop, mais refusent le formatage. Analyse du phénomène avec 2 de ses représentantes: Marina & the Diamonds et Kate Nash, à voir au prochain Pukkelpop.

Celui-là sera le bon, à coup sûr. Avec son nouveau single, Oh No!, Marina & The Diamonds devrait définitivement imposer son univers rococo-pop. Un tube hyper coloré, cartoonesque, et qui s’assume comme tel. Sourire ultra bright et gimmicks appuyés, tout en chantant des choses comme « TV taught me how to feel/Now real life has no appeal ». Bref, avec assez de personnalité que pour ne pas être noyé dans la masse. Que demander de plus? Après tout, les hit-parades sont un univers impitoyable. Tout acte de sédition, aussi subtil soit-il, est bon à prendre…

Marina est née Diamandis, en 1985, d’une mère galloise, et d’un père grec qui lui aurait légué ce petit grain d’excentricité. The Family Jewels, son premier album, est sorti au printemps dernier. Dès janvier, la BBC mettait cependant la pression. Après avoir consulté comme chaque année les professionnels de la profession (labels, journalistes, programmateurs radio…), la Beeb livrait les noms de ceux qui allaient « faire » 2010. A ce petit jeu-là -qui avait permis précédemment de débusquer Mika, Adele, Lady Gaga…-, Marina et ses diamants pointaient à la 2e place. Juste devant, Ellie Goulding ( lire par ailleurs), née elle en 1986. Le signal était clair: la pop en 2010 sera jeune et féminine.

En fait, cela fait quelques années maintenant que l’Albion envoie ses jeunes filles au front. Lily Allen a ouvert la voie. Depuis se sont succédé Kate Nash, Adele, Duffy, Florence & The Machine, La Roux… Un vrai raz-de-marée. Musicalement protéiforme certes (difficile de faire le lien entre la soul-folk d’Adele et la synth-pop de La Roux), mais réel.

Born in 1985

La « pionnière », c’est donc elle, Lily Allen. Elle sort son premier album, Alright, Still, en 2006. Elle a à peine 20 ans, mignonne mais pas fatale, loin en tout cas du modèle bimbo blonde. Elle truste les charts avec une pop bubble-gum craquante ( Smile, LDN…), à défaut d’être révolutionnaire. Allen n’hésite surtout jamais à l’ouvrir bien grande, adepte des déclarations tapageuses. La bio officielle veut qu’elle ait été repérée via sa page MySpace. Et cela, même si elle avait déjà signé un contrat avant l’emballement Internet… En attendant, cela arrange tout le monde: la voilà adoubée pop star 2.0, symbole de la génération écrans. Quand on la rencontre l’an dernier, pour la sortie de son second LP, elle ne balaie pas complètement la proposition: « Je ne veux certainement pas devenir une sorte de modèle. Mais cela ne m’ennuie pas qu’on me voit comme quelqu’un né en 85, puisque c’est ce que je suis… « 

A quoi ressemble alors cette génération? A gros traits, et en 673 signes espaces compris, cela pourrait donner ceci: si les filles de 1973  » ont vu trois fois Rain Man « , chantait Delerm, celles de 85 se sont enfilé Bridget Jones et Love Actually en boucle. Amoureuses donc mais toujours indépendantes, aussi délurées qu’un poil déprimées. Furieusement féminines, voire féministes, mais fumant et buvant comme des mecs: l’an dernier, une enquête montrait encore que, non seulement les ados anglais étaient les plus gros buveurs des pays industrialisés, mais que les filles en particulier levaient le coude au moins aussi facilement que les garçons (50 % des Anglaises de 15 ans déclarant s’être déjà retrouvées saoules, un taux 3 fois plus important que chez les lycéennes françaises).

Fame

Cela n’explique pas comment le paysage musical pop de ces dernières années s’est fait bousculer par ces demoiselles. Marina a bien sa petite idée: « Il y a eu tous ces groupes indie. Les Libertines, Arctic Monkeys… Peut-être que la vague actuelle est un peu une réaction à ça. Cela dit, ce n’est pas neuf. Déjà dans les années 80, on a vu une explosion des groupes ou des artistes pop féminins: de Kate Bush à Madonna, de Cindy Lauper à Sinead O’Conor, Blondie… «  Pas faux.

Mais il y a autre chose. Chacune prend également soin de cultiver son identité, sa spécificité. La téléréalité est passée par là, et rien ne fait plus peur que le formatage. « Je veux être une artiste pop, pas forcément une star. Ce terme a tellement changé ces 15 dernières années… A cause de la real-tv, de la montée d’une certaine culture de la célébrité. Je ne veux pas jouer ce jeu-là. » A 20 ans, la jeune femme courait pourtant les auditions, jusqu’à se déguiser en garçon pour qu’on lui donne sa chance. Elle rigole:  » C’est vrai! Mais c’est aussi à ce moment-là que j’ai décidé que ce n’était pas la célébrité qui m’attirait. J’ai voulu créer mon propre monde. C’est comme ça que Marina & the Diamonds est arrivé sur la table. » Où, précision, les Diamonds en question ne désignent pas son backing band, mais bien ses fans.

Sur son MySpace, Marina Diamandis lance le débat: « Can you be within popular culture without becoming it? » Autrement dit, peut-on avoir du succès sans tomber dans l’hystérie pop, conquérir le monde sans devenir Lady Gaga? Pourquoi pas, avance la jeune femme, qui se dit autant fan de Madonna que de Daniel Johnston, héros indie gentiment illuminé. « Madonna, je suis intriguée par sa détermination, ses prises de risques.  » D’accord, mais Johnston et ses mélodies décharnées? « Par-dessus tout, j’aime les gens qui sont honnêtes. Et Daniel Johnston symbolise bien ça, parce qu’il n’a pas de filtre. Il met tout sur la table. » L’efficacité de la pop mariée à l’authenticité d’un certain rock indépendant, le programme peut paraître tentant. « Je voudrais vraiment changer la conception selon laquelle la pop music doit être stupide. Il y a évidemment toutes ces chansons ridicules qui parlent de ringtone et d’aller faire la fête en club. Et pourquoi pas? La pop peut se passer d’une vraie substance. Mais ce n’est pas obligatoire: elle peut aussi être intelligente et dire des choses. » On aura donc Lily Allen qui parle de la dope au quotidien ( Everyone’s At It) ou Florence & The Machine qui évoque les violences conjugales ( Kiss With A Fist)…

Filles et filon

Sur son dernier album ( My Best Friend Is You), Kate Nash s’attaque elle à l’homophobie ( I’ve Got A Secret). Née en 87 à Londres, on la connaît d’abord pour son tube Foundations, qui l’a directement raccrochée au train lancé par Allen. Avec My Best Friend Is You, Nash élargit cependant son spectre pop, en tentant des sorties plus barrées, presque punk ( I Just Love You More, Mansion Song…). Une posture forcée? Rencontrée avant son récent concert au Botanique, elle explique: « Vous savez, ce sont les Buzzcocks qui, les premiers, m’ont donné envie d’écrire des chansons! En montrant qu’il y avait moyen de pondre des mélodies brillantes tout en restant très simple. En chantant aussi sur des sujets importants sans tomber dans la pose poétique masturbatoire. Pour moi, c’est ça, le punk! »

Aujourd’hui, Kate Nash se permet donc d’alterner clin d’£il aux Ronettes ( Do-Wah-Doo) et références au mouvement rock féministe riot grrrl. Soit 2 visions opposées du girl band: contrôlé par un producteur dans le premier cas, farouchement indépendant dans le second. « Dans les années 60, vous ne pouviez pas échapper à ça, c’était l’époque. Des filles ont essayé de se rebeller: des groupes garage, ou des gens comme Carole King, qui a écrit des chansons incroyables comme Will You Love Me Tomorrow?, etc. Mais dans les années 60, la pop et le rock’n’roll arrivaient pour la première fois, et s’il y avait rébellion, c’était d’abord contre les parents… Et puis si les girls groups ont été souvent formés par des hommes, les filles chantaient des textes très tristes, sur des amours déçues, trompées, à une époque où ce n’était pas toujours évident de se promener au bras d’un petit ami, où l’on se mariait encore très jeune…  »

L’histoire est un éternel recommencement. Celle de la pop en particulier. Les années 90 ont aussi vu débarquer une flopée de groupes de filles. Souvenir ému de Posh, Mel B, Mel C, Geri et Emma bougeant du popotin tout en criant « girl power »! « J’ai grandi avec cette merde. Et c’est vrai que les gens râlaient de voir tout le discours riot grrrl récupéré et marketé. Mais au bout du compte, cela a pu avoir un effet. Y compris sur des gens comme moi. Même si leur discours sonnait faux, cela parlait de girl power, d’indépendance. Les Destiny’s Child, par exemple, chantaient des trucs comme Survivor ou Independent Women … J’espère que les kids aujourd’hui pourront s’inspirer des mêmes idées, mais distillées par des artistes qui cette fois contrôlent vraiment leurs idées… »

Justement, elle en pense quoi, Kate Nash, de la domination actuelle des filles sur la pop? « D’un côté, un certain nombre ont percé et ouvert des portes. De l’autre, les maisons de disque essayent d’en profiter en exploitant le filon. En attendant, au Royaume-Uni, il n’y a que 15 % de femmes qui touchent des droits d’auteur pour avoir écrit leurs propres chansons. « 

Ce n’est pas le cas de Kate Nash, qui écrit, compose, se mêle de l’artwork… Ce jour-là, sur la scène du Bota, elle encouragera même la gent féminine de l’assemblée à se lancer, à ne pas attendre pour former des groupes… « Je voudrais proposer des workshops sur le sujet. En espérant que cela bouge un peu. Parce que si vous regardez les couvertures des magazines, les affiches des festivals, tout cela reste encore fort masculin. Il reste pas mal de boulot. » La femme, avenir de la pop?

Marina & The Diamonds, The Family Jewels, Warner. En concert au Pukkelpop le 20/08 et au Vooruit de Gand le 29/11.

Kate Nash, My Best Friend Is You, Universal. En concert au Pukkelpop le 20/08.

Texte Laurent Hoebrechts

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