FACE AU FORMATAGE GALOPANT DES CIRCUITS DE DISTRIBUTION DES FILMS, LES PRODUCTEURS CHERCHENT DES SOLUTIONS ALTERNATIVES. ILLUSTRATION AVEC LE GRAND’TOUR.

C’est à coup sûr l’un des événements de l’année cinématographique en Belgique francophone. Le film de Jérôme le Maire, Le Grand’Tour, étonnante chronique -entre réel et fiction- de la virée d’une fanfare jusqu’aux lisières de la société, s’expose en tournée de Namur à Bruxelles. Une longue suite d’avant-premières investissant des lieux parfois considérés comme perdus pour le cinéma. Une série d’événements qui durera jusqu’à la fin de l’année, et qui ébauche une autre manière de faire vivre un film dans le contexte de moins en moins favorable de la distribution et de l’exploitation.

Décloisonnement

Dans la partie flamande du pays, le film de Gust Van den Berghe, Little Baby Jesus Of Flandr, avait emprunté un parcours similaire, multipliant les projections dans un maximum de villes et de salles. Tomas Leyers, le très entreprenant producteur de cet autre OVNI du 7e art, remarqué au Festival de Cannes 2010, avait organisé ce parcours assez abondamment suivi. Et pourrait prendre le même chemin pour diffuser Blue Bird, la nouvelle réalisation de Van den Berghe…

Philippe Kauffmann, producteur du Grand’Tour et cofondateur (avec Vincent Tavier) de la société de production la Parti, a suivi l’expérience avec intérêt. Et a choisi, en accord avec son réalisateur, d’emmener le film de Jérôme le Maire en tournée,  » à la manière d’un groupe de rock« .

Kauffmann s’était déjà plu à court-circuiter la sacro-sainte chronologie des médias (passage en salle, puis en DVD, puis à la télévision) en proposant le film d’Olias Barco, Kill Me Please, en avant-première et en VOD -vidéo à la demande- sur le site Web de la RTBF. Et ce, la semaine même, début novembre 2010, de sa sortie en salle!  » Certains exploitants l’ont très mal pris et ont déprogrammé le film« , se souvient le producteur qui n’ignore pas la  » nature sensible » du sujet mais entend bien faire valoir son droit à casser les modèles figés.

 » La distribution et l’exploitation subissent de tristes dérives, et on sort de plus en plus souvent un film en salles juste pour avoir de la promo qui permettra ensuite de vendre les DVD!« , constate un Kauffmann conscient d’autre part que  » la sortie d’un film belge francophone se résume très souvent à une semaine sur un écran art et essai à Bruxelles et une autre peut-être à Liège, avec au mieux 2 ou 3000 spectateurs à la clé« . Avec Le Grand’Tour, ce chiffre se verra presque atteint avant même une (encore hypothétique) sortie officielle dans le circuit commercial. Celui qui officia durant 7 années aux Halles de Schaerbeek, et connaît donc bien le milieu culturel, prône avec ardeur un  » décloisonnement » entre le cinéma et les autres réseaux culturels, qui font l’objet d’une séparation en ex-Communauté Française de Belgique, désormais Fédération Wallonie-Bruxelles.

Pour les avant-premières du Grand’Tour, il a très vite trouvé 16 lieux vivement intéressés. Comme par exemple à Mouscron,  » où il n’y a plus de cinéma depuis une dizaine d’années, et où la salle était remplie de spectateurs en grande majorité âgés« , ou à Braine-le-Comte,  » où s’était créée spontanément une fanfare qui a accueilli l’équipe du film« ! Même si certaines rares séances sont des échecs (comme dans un lieu de Charleroi habituellement consacré au rock), la tournée à laquelle participent  » 4 ou 5 membres de l’équipe pour chaque étape » est une réussite, qui plus est festive. Et, pour Philippe Kauffmann, une invitation à pousser sa réflexion encore plus loin.

Formatage à tous les étages

 » Aujourd’hui, le boulot des distributeurs est à 80 % de gérer des espaces et des relations médias, s’exclame-t-il. Tout a été formaté, alors que chaque film est un prototype! » La manière de procéder pour Le Grand’Tour n’est par exemple pas applicable à n’importe quel autre film. Pas plus que l’utilisation fructueuse d’Internet et des réseaux sociaux pour lancer Panique au village (autre production de la Parti) ne saurait convenir à la promotion d’un titre destiné à un public moins jeune.  » L’important, souligne Kauffmann, est de retrouver un lien direct avec le spectateur, sans plus passer forcément par les canaux habituels.  »

Aller physiquement à la rencontre du public, c’est souvent la seule manière de montrer un film dans certaines parties du monde. En Afrique subsaharienne, surtout, car il n’existe presque pas de salles commerciales. Mais même en France, beaucoup de producteurs envoient réalisateur et acteurs animer des séries d’avant-premières dans des cinémas de province, touchant ainsi des spectateurs qui apprécient l’attention et dont le bouche-à-oreille servira ensuite le film à sa sortie.  » Aux ateliers organisés par le Festival de Namur, il était beaucoup question de contact, d’aller à la rencontre des exploitants par-delà les circuits majeurs d’exploitation« , confirme notre interlocuteur qui compare l’évolution future du cinéma à celle déjà vécue par l’industrie du disque:  » On ne vend plus de disques, alors on donne plus de concerts. On va vers les gens, on ranime les circuits parallèles, comme nous tentons de le faire en ce moment avec Le Grand’Tour  » l

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TEXTE LOUIS DANVERS

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