Michel Verlinden
Michel Verlinden Journaliste

AU GRAND PALAIS À PARIS, JEAN-HUBERT MARTIN, COMMISSAIRE ICONOCLASTE, ENVOIE UN JOLI COUP DE PIED AU CUL DE L’HISTOIRE DE L’ART.

Carambolages

GRAND PALAIS, 3, AVENUE DU GÉNÉRAL EISENHOWER, À PARIS. JUSQU’AU 04/07.

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Il n’est plus grand monde pour croire à l’innocence de celui qui met l’art en scène. Derrière toute exposition se cache un fond idéologique. Carambolages n’échappe pas à ce constat, même si, et c’est déjà beaucoup, il y tend de tout son être. Loin d’être innocents, des axes curatoriaux -comme la thématique ou la chronologie- portent en eux une lourde charge symbolique. C’est toute une tradition ethnocentrée qui est conviée à travers eux, un legs cartésien. Les serres chaudes que sont les expositions moisissent sous les classifications, tandis que les oeuvres sous cloche meurent d’envie de se frotter au grand air et à la lumière du jour. Sans pouvoir se targuer d’avoir accompli cette tâche de grande nécessité, le curateur Jean-Hubert Martin a néanmoins réussi à ouvrir les portes de ces structures de verre et de métal. Et à provoquer un fameux courant d’air, un « Sacred Bordello » comme dirait Charlemagne Palestine. Le nouvel accrochage du Grand Palais transgresse en effet les frontières habituelles entre genres et époques, grands noms et anonymes, sublime et vulgaire.

Convergences formelles

Une autre logique s’y déploie, empruntée aux cadavres exquis des surréalistes, voire à la concaténation, cette figure de style qu’enfants nous maniions sans le savoir -forger un mot avec la dernière syllabe du précédent (y en a marre, marabout, bout de ficelle…). Le propos se déploie à travers des télescopages visuels qui mettent la logique du regardeur à l’épreuve. Des exemples? Un spectre d’Hokusai est traversé par les mêmes effrois qui, quelque 160 ans plus tard, sont à l’oeuvre dans Ombre: le pendu du Français Christian Boltanski. Le fantôme résonne aussi avec le Gants-tête d’Annette Messager, un crâne formé de gants et de crayons. Une épée des îles Kiribati jouxte un taille-haie de Bertrand Lavier. Le point commun? Au-delà de la structure dentelée, on pointe l’ambition d’un trivial objet contemporain de se faire totem. Une impertinente paire de fesses d’une Jupe relevée de François Boucher, peinte en 1742, fait écho à la photographie callipyge et blasphématoire Monument à D.A.F.de Sade de Man Ray. Le clou du spectacle? Les convergences entre l’art brut schizophrénique d’un Martín Ramírez et le flamboyant assemblage de plâtre, feuille métallique, verre et paillette, d’un masque de Naupo Diablo d’un Bolivien anonyme. Tout au long du parcours Jean-Hubert Martin nous enjoint à « une observation attentive de l’oeuvre pour saisir le détail signifiant qui amène à l’oeuvre suivante« . A nos yeux, c’est la seule faute de goût de ce projet: proposer au visiteur d’être créateur du sens de l’exposition et lui imposer un itinéraire balisé. Qu’à cela ne tienne, on est en droit de désobéir et de poser un regard neuf. Il est alors question de regarder chaque oeuvre comme un tout, comme un monde. C’est d’autant plus facile que nombre d’entre elles n’ont pas été beaucoup vues -à l’exception d’un regrettable Lucio Fontana- et que le curateur a choisi quelques ovnis visuels que l’on ne se lassera pas de contempler. Ainsi de la Vision de la Sainte Famille, tableau anonyme de 1581 qui défie les lois de la représentation qui étaient alors en vigueur.

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MICHEL VERLINDEN

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