Michel Verlinden
Michel Verlinden Journaliste

EN SIX OEUVRES MINIMALISTES, L’AMÉRICAIN BRUCE NAUMAN RÉUSSIT LE TOUR DE FORCE DE SATURER L’ESPACE. VERTIGINEUX.

Bruce Nauman

FONDATION CARTIER, 261, BOULEVARD RASPAIL, À 75 014 PARIS. JUSQU’AU 21/06.

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C’est une étrange exposition aux relents de messe noire que programme la Fondation Cartier pour l’art contemporain. Les portes automatiques sont à peine entrouvertes que le visiteur est happé par les oeuvres immersives de Bruce Nauman (1941, Fort Wayne, Indiana). Des oeuvres qui s’entendent avant de se voir. Depuis le sous-sol, des chants que l’on dirait grégoriens enfoncent des leitmotivs monocordes comme autant de clous plantés dans les terminaisons nerveuses des cerveaux disponibles. Nauman joue avec nos nerfs, signant une atmosphère qui hésite entre le glaçant et l’agaçant. Un provocateur de plus? Nullement. Comme le prouve son parcours, Bruce Nauman est une personnalité à part de l’art contemporain. Initialement formé aux mathématiques et à la physique, l’Américain ne s’est inscrit dans une école d’art, en Californie, que par la suite. Il est resté sur la Côte Ouest jusque dans les années 70 avant de tout quitter pour le Nouveau-Mexique où il vit encore aujourd’hui. Installé près de Santa Fé, Nauman élève des chevaux dans deux ranchs qu’il possède. Ce, même s’il ne se passe pas un seul jour sans qu’il ne s’agite dans le petit studio où il affine sa pratique. « Il se tient volontairement à l’écart du monde de l’art, cette distanciation lui vaut le respect de nombreux artistes qui le prennent pour un modèle. Bruce passe pour une sorte de sage dans le milieu… même si c’est une posture qu’il ne se permettrait jamais d’endosser« , explique Thomas Delamarre, l’un des deux curateurs.

Affolant manège

Au total, Bruce Nauman expose six pièces: deux au rez-de-chaussée, une dans le jardin et trois au sous-sol. Au rez-de-chaussée, c’est Pencil Lift/Mr. Rogers (2013) qui marque les esprits. Projetées sur un immense écran LED, deux courtes séquences vidéo montrent l’artiste en train de réaliser un jeu d’adresse à la simplicité déroutante: avec le bout des doigts et deux crayons, il s’amuse à en soulever un troisième pourvu de mines à chaque bout. Sous des apparences anodines, les deux courts métrages, qui sont deux états chronologiques de la même idée, condensent les lignes de force qui traversent son travail: le corps et ses limites qui mettent en scène la condition humaine, l’aspect brut de décoffrage de ses dispositifs, l’incroyable faculté à habiter un lieu d’exposition. A nos yeux, c’est tout particulièrement au sous-sol que l’approche de ce conceptualiste-minimaliste trouble. D’abord, par le biais de Carousel. Cette installation de 1998 donne à voir une sorte de ronde macabre générée par un dispositif qui évoque un manège forain. Des animaux ready-made tout droit sortis de catalogues de taxidermie sont trainés sur le sol. Des morceaux de daim, de coyote et de lynx en mousse polyuréthane composent une version apocalyptique du destin animal mais également de l’éternel retour du même qui traverse l’existence humaine. Juste en face, trois sculptures multimédia de 1991 faisant place à six moniteurs et trois écrans de projection montrent le compositeur et performer Rinde Eckert en train de déclamer des suites de mots façon Feed Me, Eat Me, Anthropology. Vue de façon toujours partielle, où que l’on se place, cette installation agresse le visiteur, le harasse par la tension physique qu’elle recèle. On en ressort bouleversé et convaincu du rôle majeur de cette figure en marge.

WWW.FONDATION.CARTIER.COM

MICHEL VERLINDEN

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