MICHELLE WILLIAMS ILLUMINE MEEK’S CUTOFF, LE FILM DE KELLY REICHARDT, DE SA PRÉSENCE MÉLANCOLIQUE, MASQUE FRAGILE POUR DÉTERMINATION FAROUCHE. À L’IMAGE D’UN PARCOURS ASSURÉMENT PEU BANAL, QUI L’A VUE PASSER DE DAWSON’S CREEK AU MEILLEUR DU CINÉMA INDÉPENDANT AMÉRICAIN.

La distribution a ses raisons que le c£ur et la raison ignorent: il aura fallu près de deux ans pour que Meek’s Cutoff, le suffocant quatrième long métrage de la réalisatrice américaine Kelly Reichardt, un film que l’on avait découvert à la Mostra de Venise en septembre 2010, se fraye un (timide) chemin vers les écrans belges. Entre-temps, Michelle Williams, qui y tient le rôle principal, a troqué son statut de frêle icône du cinéma indépendant made in USA pour celui de star, sans pour autant en rien se renier; tout au plus lui aura-t-il fallu, le temps d’un film, My Week with Marilyn, et d’une incarnation comme l’on n’en voit que rarement, vibrer à l’unisson de Marilyn Monroe, en un mélange de magnétisme ravageur, d’insondable tristesse et d’insécurité maîtrisée à grand peine.

Là, justement, tandis qu’on la retrouve à deux pas de la plage de l’Excelsior, elle s’exprime d’une voix dont elle ponctue le cajolement de nombreux rires, comme s’il s’agissait autant de se rassurer elle-même que de mettre ses interlocuteurs à l’aise. La notoriété, Williams, qui naquit dans le Montana avec les années 80, y a goûté fort jeune, à pas même 20 ans, lorsque, ayant à son actif quelques films dispensables (l’histoire retiendra toutefois que comme Liz Taylor, elle débuta auprès de Lassie), elle embarque pour la série Dawson’s Creek où elle campera, épisode après épisode, Jen Linley. Rétrospectivement, voilà qui a tout du malentendu. Le temps, toutefois, a le don d’arrondir les angles: « J’y ai vu une malédiction à l’époque, mais je sais désormais combien cela a constitué une bénédiction, confie-t-elle. Je craignais ne plus jamais rien pouvoir faire d’autre, mais j’ai en fait bénéficié pendant ces nombreuses années d’un cours qui m’a aidée à me sentir tout à fait à l’aise face à une caméra, tout en accumulant de l’expérience. » De quoi, incidemment, lui permettre aussi de trouver ses marques: lorsqu’elle quitte la série au bout de six saisons, en 2003, la jeune femme opte résolument pour le cinéma indépendant – « Dawson’s Creek a contribué à me donner l’opportunité de tourner des films comme celui-ci », souligne-t-elle encore sans que l’on doive l’en prier.

De fait, là où d’autres auraient, bon gré mal gré, capitalisé sur cet acquis, Williams opte pour la voie sinueuse du cinéma indépendant -une route dont elle n’a guère dérogé depuis. Si elle tourne aux côtés de Ryan Gosling dans The United States of Leland, avant de travailler avec Wim Wenders pour The Land of Plenty, c’est Brokeback Mountain, le western d’Ang Lee, qui lui apporte la reconnaissance cinéphile. Epouse délaissée du regretté Heath Ledger (dont elle partagera la vie à la ville pendant plusieurs années), elle y est tout simplement bouleversante, concentré d’amertume et de douleur prêtes à exploser. Après quoi, de I’m not There en Synecdoche, New York, son parcours prend une tangente voisine de la perfection. En douterait-on, que les sorties consécutives sur nos écrans de Wendy and Lucy, de Kelly Reichardt, déjà, et de Blue Valentine, de Derek Cianfrance, où elle retrouve Ryan Gosling, en apportent la confirmation: dans un cinéma américain où le formatage est désormais la règle, sa présence mélancolique constitue en soi une heureuse exception, Michelle Williams donnant, à chaque plan, l’impression de devoir se désintégrer dans l’image, tant il y a en elle l’expression d’une fragilité contenue.

Elle ne dit d’ailleurs pas vraiment autre chose lorsqu’on l’invite à s’exprimer sur ses retrouvailles avec Kelly Reichardt, à la faveur de Meek’s Cutoff. « Je n’étais pas dans une phase particulièrement heureuse de mon existence. En tant que personne, j’essaye de créer une certaine continuité et de la stabilité, ce qui est une gageure dans ce genre de travail. Ce besoin que j’ai en moi s’en est donc trouvé comblé. Et comme actrice, c’était gratifiant, parce que cela signifiait que Kelly pensait que je pouvais lui apporter plus, elle n’en avait pas fini avec moi. Parfois, au sortir d’un film, vous vous sentez un peu comme un objet usagé: vous vous êtes dépensée sans compter pour un réalisateur, avez montré tout ce que vous aviez à donner, et puis voilà. Là, j’ai eu l’assurance que Kelly croyait en ma capacité à me régénérer après lui avoir tout donné, afin de lui apporter autre chose. Je me suis dès lors sentie bien. »

Travailler sans filet

Le tournage n’allait pas moins s’en révéler éprouvant, qui emmènera l’équipe du film dans les plateaux désertiques de l’Oregon, cadre d’une histoire empruntée à la réalité – « C’est le film le plus exigeant que j’aie jamais tourné, poursuit Michelle Wiliams. Peut-être pas émotionnellement, mais en tout cas physiquement. Après coup, cela m’apparaît même désopilant, tant il y aurait des anecdotes à relater. Quand on tourne des films indépendants avec si peu d’argent, cela signifie aussi qu’il n’y a pas de véritable filet de sécurité pour vous retenir si vous venez à tomber. » L’authenticité qui émane des films de Kelly Reichardt en général et de Meek’s Cutoff en particulier est sans doute à ce prix. Et si elle évoque l’aventure que constituait chaque jour le simple fait de rallier le lieu de tournage, l’actrice loue aussi le sens communautaire qui l’emportait sur toute autre considération, le soir venu, lorsque l’équipe, épuisée, partageait un même repas: « Une connexion s’établissait alors, et tout s’arrangeait. Notre vie et notre travail se confondaient, c’est l’avantage de tourner sur place. On analysait ce qui s’était passé durant la journée autour de ce repas, et jamais nourriture ne m’a paru aussi bonne. »

Pour peu, l’on y verrait une dimension spirituelle. Celle qui émane aussi, diffuse, du film, parmi d’autres, politique notamment. Et qui étreint son personnage, Emily Tetherow, que les circonstances vont conduire à s’écarter de l’effacement de sa condition de femme de pionnier vouée aux tâches domestiques. « Mon sentiment sur le film a évolué lorsque j’ai commencé à travailler avec Rod Rondeaux, qui joue l’Indien. Je ne crois pas que cela me soit jamais arrivé auparavant. A la lecture du scénario, je pensais qu’il serait avant tout question des relations, et de l’isolement de ces femmes dans leurs mariages, avec des hommes qui leur étaient aussi inconnus que les étoiles dans le ciel. Et puis, j’ai réalisé que cette femme passait par une expérience quasi religieuse… » Expérience qui va conduire ce fascinant western au féminin résolument hors-piste, et sur laquelle elle appose, en guise de conclusion provisoire, un mot qui lui va assurément fort bien: « un charme… » l

RENCONTRE JEAN-FRANÇOIS PLUIJGERS, À VENISE

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