GONZALES N’EST JAMAIS QUE LE FILS D’UNE LONGUE LIGNÉE ROCK FASCINÉE PAR BACH, MOZART OU SATIE: DES VAGISSEMENTS SYMPHONIQUES À L’INTIMITÉ PIANISTIQUE, DIX EXEMPLES CHOISIS.

BEATLES: BOURRÉES

En 2005, Paul McCartney explique que Blackbird -paru en novembre 1968 sur le double blanc- est inspiré de la Bourrée en E mineur de J.S. Bach, la Bourrée ayant moins à voir avec le binge drinking qu’avec une danse française auvergnate du XVIIe siècle. Le sens aigu de l’harmonie beatlesienne s’inspire largement d’une vision classique de la musique, le groupe sous l’influence du producteur George Martin usant d’un quartette de cordes ( Yesterday), de deux ( Eleanor Rigby) puis d’un orchestre de 40 musiciens ( A Day In The Life) dans une £uvre protéiforme reconnue aujourd’hui comme éminemment « classique ».

PROCOL HARUM: GET BACH

Slow copulatoire de 1967 vendu à plus de dix millions d’exemplaires, A Whiter Shade Of Pale puise dans l’univers de Bach et Pachelbel. A Jean-Sébastien, les Anglais empruntent la progression classique des basses alors que le jeu de Pachelbel colore le lyrisme vertueux de l’orgue Hammond. En 1971, le Procol enregistre un live avec The Edmonton Symphony Orchestra: le sympho-rock est dans la place, notamment depuis que The Moody Blues ont bouclé Days Of Future Passed avec le London Festival Orchestra, laissant violon et mellotron s’accoupler en toute liberté.

WALLACE COLLECTION: POP DES CYGNES

Enregistré aux Studios Abbey Road, ce Daydream de 1969 est, hors-Beatles, l’un des tout premiers morceaux fusionnant de manière égalitaire pop et classique. Tube dans une vingtaine de pays, ce titre du groupe belge est une adaptation dérivée de deux pièces de Tchaïkovski, lancée par l’un des trois co-auteurs du morceau, le violoniste Raymond Vincent. Recruté, comme le violoncelliste Jacques Namotte, à l’Orchestre National de Belgique, Vincent formera ensuite Esperanto, formation classico-rock auteure de trois beaux albums seventies avant de se crasher.

EMERSON, LAKE & PALMER: POMPES ET CIRCONSTANCES

Entre classique et pompe, la frontière est poreuse. Obsédé par sa propre démonstrativité, le claviériste Keith Emerson ne se contente pas de poignarder son orgue Hammond sur scène, il transpose ses fantasmes de « virtuosité » dans le trio formé avec Lake et Palmer. Le premier album, assoiffé de Bach et de Bartok, n’est qu’un zakouski du troisième opus (1971), Pictures At An Exhibition, interprétation boursouflée de l’£uvre du Russe Moussorgski, dont le prénom -Modeste- est violemment antagoniste aux grandes man£uvres d’ELP…

DEEP PURPLE: UNE HARDEUR D’AVANCE

Le rock progressiste de la fin des années 60 tente logiquement des envolées orchestrales prolongeant l’onirisme du mellotron par des instruments classiques. Le métissage est plus étonnant lorsque la matrice première est « hard »: ainsi Deep Purple se produit en 1969 au Royal Albert Hall en compagnie du Royal Philarmonic Orchestra dans un concerto composé par l’organiste du groupe, feu Jon Lord. Cette toute première « fusion » intégrale live de rock et de symphonique sera éternisée dans un album, balise du genre.

BRIAN ENO: PAS DE PUSSY

Débutant professionnellement comme sorcier des claviers et autres coïts électroniques sur les deux premiers albums marquants de Roxy Music, Eno va paradoxalement utiliser des moyens d’époque -synthétiseurs, loops analogiques, système de delay- pour créer diverses formes de minimalisme où la patte du compositeur français Erik Satie croise les influences absorbées chez l’avant-gardiste américain Terry Riley. Eno deviendra célèbre pour ses disques d' »ambient music »: on en trouve des traces dès No Pussyfooting paru en 1973.

ELECTRIC LIGHT ORCHESTRA: ROCK’N’ROLL BEETHOVEN

Après The Move -qui incorpore cordes et cuivres dans un esprit néo-classique-, Roy Wood joint Jeff Lynne pour former ELO dont le premier album paraît fin 1971. Le violoncelle y « scie » littéralement les riffs des chansons, et la charge de cuivres lyriques complète un feeling « baroque-and-roll » perso, quoi que grandement influencé par les Beatles. Dès le mitan des seventies, ELO connaît un succès mondial, délitant peu à peu son brillant orchestral dans une pop farineuse. En 1973, ELO reprend Roll Over Beethoven, tube de 1956 où Chuck Berry explique comment le rock est destiné à renverser le classique…

MICHAEL NYMAN: SERIAL COMPOSER

Compositeur prolifique, cet Anglais transvase sa culture classique -il a étudié le baroque à la Royal Academy Of Music de Londres- vers un domaine plus « populaire », en grande partie grâce aux musiques à succès écrites pour le cinéaste Peter Greenaway et le film de Jane Campion, The Piano, Palme d’or à Cannes en 1993. Il aurait découvert son propre style, une flamboyante pop-baroque usant de thèmes répétitifs, en jouant au piano le Don Giovanni de Mozart à la manière d’un Jerry Lee Lewis frénétique…

METALLICA: SYMPHONY REVIVAL

Metallica n’a jamais caché que l’idée de son album S & M -abréviation de Symphony And Metallica-, enregistré live en 1999 avec le San Francisco Symphony, venait de son bassiste Cliff Burton, tué sur la route en 1986. L’influence de… Bach, encore lui, s’avérant prégnante dans certains passages instrumentaux des albums Ride The Lightning et Master Of Puppets. Enorme succès commercial, S & M ne doit pas occulter des pans entiers de groupes métalleux traumatisés par le sillon symphonique.

SIGUR ROS: POST-QUOI?

Il est paradoxal que l’un des groupes les plus inventifs-transgressifs des deux dernières décennies, volontiers qualifié de post-rock, ait mis au centre de son évolution constante la musique classique. Ou plutôt une fusion très particulière de chant choral, d’ampleur orchestrale et de sinuosités harmoniques dont l’impact n’a rien à envier au génie émotionnel de Bach. D’autres contemporains comme Godspeed You! Black Emperor ou le Martien Scott Walker n’auront jamais fait aussi fort…

TEXTE PHILIPPE CORNET

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