Mathieu Amalric: « Ça m’excite à chaque fois de prendre quelque chose où il n’y aurait pas beaucoup de cinéma »

Mathieu Amalric: "J'ai tout de suite ressenti avec Vicky Krieps une relation de gémellité."
Jean-François Pluijgers
Jean-François Pluijgers Journaliste cinéma

Avec Serre-moi fort, Mathieu Amalric adapte la pièce Je reviens de loin, de Claudine Galéa, dans un mélodrame ne cessant de se dérober comme pour mieux vriller le spectateur. Entretien, à Cannes.

Sixième long métrage de Mathieu Amalric, Serre-moi fort (lire aussi notre critique) s’ouvre sur un plan de Vicky Krieps s’échinant à mettre un semblant d’ordre dans une série de polaroids, avant de devoir se rendre à l’évidence: « On recommence« . Il y a de cela également dans ce film qui semble toujours devoir se dérober, dévidant son synopsis évanescent -« Ça semble être l’histoire d’une femme qui s’en va« – dans des temporalités superposées, à charge pour chacun, héroïne comme spectateur, d’y tracer sa route -en AMC Pacer break en ce qui la concerne. À l’origine de ce nouvel opus du réalisateur de Tournée, on trouve la pièce Je reviens de loin, de Claudine Galéa, dont il confie, encore tout à l’émotion de la Première cannoise, avoir éprouvé d’abord la résonance douloureusement intime -« la première pulsion, c’est ce nerf qui a été touché, qui a à voir avec ma vie privée« -, avant d’en imaginer l’adaptation: « Ça m’excite à chaque fois de prendre quelque chose où il n’y aurait pas beaucoup de cinéma, ce qui pourra peut-être exalter un peu les outils et ne pas être autre chose qu’un film à l’arrivée. »

Une femme se faisant un film

L’on pourrait dire ainsi que Serre-moi fort n’est au fond rien d’autre que l’histoire, racontée à la première personne, de Clarisse, une femme se faisant un film. Encore fallait-il donner un cadre au fruit de son imagination, ce à quoi Mathieu Amalric s’est employé en remodelant la pièce: « J’ai d’abord fait comme une mise à plat d’archéologue avec un petit pinceau. C’est un texte extrêmement littéraire -d’ailleurs, la première réaction des productrices a été « bon courage pour faire du cinéma avec ça ». J’ai noté les objets d’abord. Et puis, en premier assistant que j’ai longtemps été, les décors, les saisons, j’ai remis la chronologie à plat. Avec ça, ça redevenait un peu de la dramaturgie et du cinéma. Et puis j’ai pensé à des rites, des hallucinations, des fantômes, des transes, aux films de Jean Rouch, quand on voit ces rituels africains de convocation des morts, c’est la même pulsion. Avec le délire mêlé au mélo, quelque chose comme ça, une basse continue… »

À l’instar de ce qu’il avait fait pour Barbara, sa formidable évocation de la chanteuse, le cinéaste a substitué à la révélation finale de la pièce une narration fragmentée, manière aussi de traduire au mieux la confusion habitant Clarisse. En quoi lui ne serait toutefois pas loin de ne plus voir guère mieux qu’un procédé: « Je suis au bout d’un truc, c’est un système, je n’aime plus, je ne suis pas encore arrivé au premier degré du mélo, soupèse-t-il. Je pensais que ce serait du mélo au premier degré, mais il y avait déjà un vice de forme dans le texte que j’ai choisi, puisqu’il y a un double fond. Tu ne peux pas faire du mélo avec un double fond, et donc, j’en ai chié. » Voire: en prolongeant le mystère entourant les motivations profondes de Clarisse, le film s’invente un espace à lui, démarrant sur une idée simple mais porteuse -quelqu’un décidant de larguer les amarres et de quitter sa famille-, pour ensuite déployer un imaginaire ancré dans une réalité tragique. Si elle tient bien sûr à la manière dont Amalric réussit à préserver cet équilibre fragile, la réussite de l’entreprise doit aussi beaucoup à la présence de Vicky Krieps, qui l’installe en territoire à la fois autre et familier. « J’ai commencé à cracher une première version en neuf jours dans une maison où je vis en Bretagne, et au bout du troisième, c’est vraiment comme Jeanne d’Arc, elle m’a visité. J’avais eu comme tout le monde le choc de l’apparition de Vicky Krieps dans Phantom Thread, j’ai appelé son agent qui m’a dit qu’elle serait à Paris trois semaines plus tard. Elle a lu le scénario, on s’est vus dans un bar, et j’ai ressenti une relation de gémellité. Ça allait au-delà de « on n’a pas besoin de se parler », c’était plutôt une combustion: j’ai écrit avec ma douleur, et à un moment donné, elle a pris le relais, c’est fou. Vicky et moi, on dit d’ailleurs toujours « notre film », quelque chose comme l’histoire d’une tragédie intime et plurielle à la fois…

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