Laurent Hoebrechts
Laurent Hoebrechts Journaliste musique

Bienvenue dans le cabaret mutant du Las Venus Resort Palace Hotel. Avec Cibelle, en meneuse de revue joliment décalée, entre exotica et pop déviante.

« J e suis passionnée par tout ce qui se rapporte à la psychologie, les neurosciences… Mon homme travaille dans un institut de santé mentale et chaque soir, quand il rentre, je lui saute dessus pour qu’il me raconte sa journée! » Y aurait-il dans l’anecdote l’explication du petit grain de folie de Cibelle? A voir. D’abord, Cibelle n’est pas tout à fait dingue. Juste un peu excentrique. Quand on la rencontre, la jeune Brésilienne (Sao Paulo, 1978), ancienne mannequin et ex-actrice, porte un tas de breloques aussi multicolores que ses mèches. « J’essaie de faire correspondre au mieux l’intérieur et l’extérieur. J’y travaille en tous cas », sourit celle que les Inrocks ont surnommée assez justement la Björk tropicale.

Précision tout de même, puisqu’apparemment la confusion continue de régner: toute Brésilienne qu’elle soit, Cibelle ne fait PAS de bossa nova. A la faveur de ses collaborations avec Devendra Banhart ou Vetiver, sa page Wikipédia la rapprocherait plus volontiers de la scène « freak folk ». Pas faux. Enfin, folk peut-être. Freak, certainement. Son récent 3e album en est une nouvelle joyeuse preuve. Sur Las Venus Resort Palace Hotel, elle ne se prend pas pour Napoléon mais pour Sonya Khallecallon, croisement entre Sophie Calle et Frida Khalo, chanteuse vedette d’un cabaret post-apocalypse. « C’est un scénario de fin du monde. La Terre a été désertée. Il n’y reste qu’un seul endroit encore animé: le Las Venus Resort Palace Hotel. Il est 4 h du mat’, il y a sûrement quelques mecs bourrés, des amoureux dans un coin, peut-être un transexuel ou l’autre. Cela vit, il se passe des trucs. Ils pourraient tous très bien aller boire des coups sur Mars, mais l’endroit s’est « normalisé », on vient d’y installer un nouveau Starbucks.. . Ils préfèrent se rendre à cet hôtel un peu déglingué mais qui bouillonne. C’est un peu le lieu de rendez-vous de tous les galactic dudes… »

Kitsch

Ils viennent donc écouter Cibelle minauder des mélodies fifties mutantes, reprendre Mango Tree (Ursula Andress dans James Bond contre Dr No) ou It’s Not Easy Being Green (la chanson de Kermit du Muppet show). Lightworks aussi, morceau multisamplé par les rappeurs (J Dilla notamment), et £uvre de l’inventeur fou Raymond Scott. Précurseur de l’électronique, Scott est aussi considéré comme un des papes du courant exotica, cette fantaisie pseudo exotique, « polyniaiseries » toujours un poil kitsch. Ce qui convient parfaitement à Cibelle : « J’avais envie de créer une ode à tout ce qui est vu comme laid ou kitsch en effet. Le fait est que tout aujourd’hui doit être cool. C’est terrible. Du coup, j’ai parfois l’impression que toutes les musiques autour de moi s’embourgeoisent, elles manquent de jus. C’est pour cela que j’adore écouter des trucs comme du surf rock thaï, du disco indien, ou du hip hop turc… Décalés peut-être mais qui ont quelque chose de très pur. Je vois bien à Londres où je vis, c’est la même chose. Avant, un quartier comme Brick Lane était très vivant, aujourd’hui il est en pleine gentryfication. Et ça m’ennuie. » Ce qui ne risque pas trop d’arriver à ceux qui iront boire un coup au Las Venus Palace Resort Hotel… l

Laurent Hoebrechts

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